Contre Sainte-Beuve ? Non, contre Marcel, tout contre !

S'il est un compagnon du Dr Who qui m'exaspère, c'est bien Bill Potts.
Voilà un personnage ennuyeux, qui ne parcourt pas l'univers pour en découvrir les merveilles, pour en percer les mystères ou pour affronter les plus étranges créatures maléfiques, mais pour faire savoir à la galaxie entière ... qu'elle est gay. Ce dont finalement l'Univers n'a que faire, pour le dire poliment. Voilà un personnage qui ne semble exister, être descriptible, que par son orientation sexuelle. Enlevez-lui sa fonction d'étendard gay, elle n'est plus rien, ou juste une histoire douloureuse de fille ayant perdu sa mère, une belle histoire inexploitée.


Pourquoi vous parler ici de Bill Potts ?
Parce qu'elle est la parfaite métaphore de ce film de Xavier Dolan. Un film qui passe à côté du beau sujet qu'annonçait sa bande-annonce par le truchement de la problématique: "Qu'est-ce qu'un artiste devrait révéler de lui-même ? Et pourquoi est-ce que ça nous importe, au juste ?. Cela, pour traiter avant tout de la condition homosexuelle. Ou quand les préoccupations du somatique et de son appréhension sociale l'emporte sur le questionnement de la rencontre épistolaire, c'est à dire celle des âmes.


Qu'attendait-on de Ma vie avec John F Donnovan ?



Extrait de la bande-annonce:
" Cher Rupert,
Je ne peux rêver d'un ami plus singulier.
Personne ne saura vraiment comprendre notre amitié, jusqu'à ce que tu le leur permettes."



"Je venais d'avoir onze ans. Les élèves de l'école se moquaient de moi parce que j'étais le petit nouveau.Ma mère et moi, on ne se parlaient pratiquement plus. Tous mes rêves s'étaient envolés ! Le seul qui avait survécu, c'était John".



On attendait initialement une rencontre épistolaire entre deux êtres, un fan et son idole, ce qui aurait soulevé d'emblée la problématique du rapport à l'être idéalisé, celle de ce que l'artiste et le quidam ont à livrer d'eux-mêmes. Puis, la relation (aux deux sens du terme) devenant à la fois plus solide, plus profonde et plus intime, l'amitié serait devenue indéfectible entre ces deux êtres que tout sépare et qui vont mutuellement se serrer les coudes, par lettres interposées, sorte de nouvelle idéalisation. Un vernis appelé à craquer lorsque l'échange se serait fait plus en profondeur encore, démasquant le surmoi, libérant le moi et le ça. Le monde laissé à ses problèmes, les gens haineux face à eux-mêmes, avec leurs petites idées, en simple toile de fond aznavourienne. Une réponse pure au "Faut-il rencontrer ses idoles ?" et une réécriture du Contre Sainte-Beuve de Proust, la double rencontre du moi social et du moi profond de l'artiste.
C'est ce dévoilement que l'on attendait, cette rencontre authentique cachée dans le flot des rencontres hypocrites, qu'aurait incarné à la perfection le monde du cinéma ambiant. Dolan eût du s'inspirer plus de Proust, figure plus réelle et plus célèbre d'homosexuel - que de Bill Potts.


On pourra opposer que le même Proust défend l'idée que chaque oeuvre d'un même artiste se doit, après avoir été un inédit, de devenir la reprise monotone du succès premier, un fragment de son univers singulier. En cela, Dolan fait oeuvre proustienne, puisqu'il se contente de rappeler au bon souvenir du spectateur ses thèmes de prédilection: le rapport à la mère, l'homosexualité. L'homosexualité encore lue comme un sujet sulfureux, quand pléthore de fictions la mettent en scène: Ah! L'homophobie des années 2000 ! 2006, il est vrai, c'était encore le Moyen-Âge ! S'il se souhaitait vraiment sulfureux et actuel, Dolan aurait dû davantage privilégier la piste de la pédophilie pour interroger les frontières entre sympathie des âmes et relations inappropriées. C'eût été par plus honnête !


Il en résulte, lorsqu'on entend la fameuse phrase "Qu'est-ce qu'un artiste devrait révéler de lui-même ? Et pourquoi est-ce que ça nous importe, au juste ?" en fin de métrage, une impression décevante d'inachevé. De bel hors-sujet, mais bien d'hors-sujet. De lapalissade, le pitch nous étant raconté plusieurs fois sans jamais quitter la surface de sa simple citation. Et résonne autrement le " Personne ne saura vraiment comprendre notre amitié, jusqu'à ce que tu le leur permettes", puisque, justement, le spectateur ne la comprend pas, cantonné à la surface des choses, exclu de cette relation toute particulière dont il se pensait le précieux témoin.


Circulez, il n'y a rien à voir ?
Si, il y a à voir une énième histoire de reproduction homosexuelle, celle du mentor et de son apprenti. Car le jeune fan, Rupert, devenu adulte et offrant une interview à une journaliste, pose la base dolanienne du récit: ce qui doit intéresser, ce n'est pas la relation, c'est "l'influence". En d'autres termes, Ma vie avec John F Donnovan est un manifeste gay, un appel au prosélytisme homosexuel, l'adulte confessant les erreurs de ses secrets pour permettre à l'enfant de devenir un homosexuel épanoui et fier. Ce n'est pas inintéressant mais c'est trop engagé, trop nombriliste et pas assez universel pour une histoire qui plantait son décor sur le champ de l'échange épistolaire, une histoire qui semblait s'intéresser à la relation de l'artiste et de son admirateur. Une relation qui promettait la rencontre de deux moi profonds, dépassant le déguisement social, les bassesses de la sexualité, les poncifs de tous genres, pour faire avancer une réflexion hélas peu abordée.


Comme Bill Potts qui court après les aliens pour faire son incessant coming-out, Xavier Dolan interpelle les spectateurs qui ont soif d'idéal, attirés par les étoiles, les voiles, pour leur parler - encore ! - d'homosexualité et juste d'homosexualité.

Frenhofer
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le 7 avr. 2019

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