Fidèle ou infidèle, est-ce là la question ?

Le défi à relever, lorsqu'on s'attaque à l'adaptation d'un monstre de la littérature comme l'est le Macbeth de Shakespeare est de savoir se positionner de manière à respecter l'oeuvre originale tout en proposant quelque chose de neuf sans tomber dans les travers d'une oeuvre boiteuse. Justin Kurzel n'a pas reculé face à cette difficulté, et semble avoir trouvé cette position d'entre-deux respectueux et créatif.


Le texte même de Shakespeare pose de nombreuses difficultés lorsqu'il s'agit de le mettre en scène, récemment Ariane Mnouchkine et sa troupe ont affronté le problème. Comment porter sur scène l'immensité d'un champ de bataille brumeux, l’exiguïté d'une grotte (repère des sorcières pendant le Sabbat) ou encore un fantôme ? En ce qui concerne ce dernier point, Ariane Mnouchkine a décidé de faire sortir Banco de sous les planches dans un brouillard qui envahit alors le grand hall du palais du nouveau roi d'Ecosse, insistant ainsi sur le caractère surnaturel de cette apparition. L'évocation de cette mise en scène récente peut nous amener à nous interroger sur les conditions de représentation de Macbeth au temps de Shakespeare, qui ne disposait pas des mêmes outils de mise en scène que nous, rappelons-le.
En cela, le cinéma permettrait, étrangement, d'être encore plus fidèle au texte que ne l'est une représentation théâtrale. C'est ce que justifie à mon avis l'insistance sur les paysages dans les scènes d'extérieur qui rappellent ô combien la nature a un rôle à jouer dans l'oeuvre de Shakespeare. La photographie est en effet époustouflante dans l'oeuvre de Justin Kurzel, l'Ecosse se fait cadre et paysage-état-d'âme de la folie de Macbeth.


Et le texte alors ? Justin Kurzel a fait un choix audacieux pour l'époque mettant en péril la réception de son film. Il a en effet décidé de rester le plus proche possible de la langue de Shakespeare, un anglais auquel l'oreille moderne n'est pas habitué et qui dans sa versification peut paraître obscur voire ridicule dans certaines scènes. Il est vrai que ce langage peut faire barrière mais il doit être intégré, au même titre que les paysages, dans une logique de de retour à l'essence du texte original.


Jusque-là, me direz-vous je n'ai pas montré que le Macbeth de Kurzel occupait cette position d'entre-deux entre respect du texte et création. C'est pourtant à travers un certains nombre de choix que s'exprime cette créativité. En effet, ceux qui ont vu le film l'auront remarqué, le rôle des sorcières, les trois sœurs du Destin, est beaucoup moins important que dans la pièce de Shakespeare. J'avoue avoir été déçu de ne pas retrouver la scène du Sabbat célèbre pour une chanson qui a traversé des générations ("Double trouble" dans la B.O d'Harry Potter par exemple), ni même entendre une seule fois le nom d'Hécate. Les trois sœurs, passées au nombre de quatre pour l'occasion, quittent leurs traits diaboliques pour préserver l'énigme de leur prophétie qui ne veut ni bien ni mal mais seulement prédire. Souvenez-vous, dans l'oeuvre de Shakespeare, Hécate intervient auprès des trois sœurs pour leur remonter les bretelles ; c'est de leur faute si Macbeth met à sang l'Ecosse dans sa course au titre suprême. De cette manière la folie du thane de Cawdor a une origine surnaturelle. A l'inverse, l'oeuvre de Kurzel fait de cette folie une folie humaine, ce qu'illustre l'époustouflante prestation de Marion Cotillard en lady Macbeth, qui comme de nombreuses reines chez Shakespeare (Reine Marguerite dans Henry VI) fait de son roi un Homme en faisant naître en lui une soif de pouvoir inextinguible. Et c'est sur ce dernier thème du pouvoir que Kurzel fait reposer l'originalité de son oeuvre. C'est en effet le sens qu'acquiert les dernières secondes de l'oeuvre: l'enfant de Banco fuit dans la brume et les flammes, l'épée de Macbeth à la main et Malcolm, désormais roi d'Ecosse, court en armes les couloirs de son nouveau palais, comme s'élançant à la poursuite de l'enfant. Après tout n'est-il pas lui aussi appelé à devenir roi ?


Ainsi dans un refus du sur-fantastique, comme dans l'apparition de Banco lors du dîner qui, contrairement à la mise en scène d'Ariane Mnouchkine, se mêle naturellement à la foule des convives, ou dans le rôle restreint des soeurs du Destin, Justin Kurzel réactualise une critique du pouvoir, déjà présente dans l'oeuvre de Shakespeare, en intimant la folie aux hommes et à ce qu'ils choisissent de croire.


Être fidèle à Shakespeare ou ne pas l'être, là n'est pas la question, il incombe à un réalisateur qui adapte ce chef-d'oeuvre d'en proposer une lecture moderne et originale en jouant avec les outils que le dramaturge lui a légué il y a de cela bien des siècles.

CharlesCrtn
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le 7 déc. 2015

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Charles Creton

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