"Je vous aime, je vous aime [...] surtout ne me méprisez pas" (Marion)

Ce film achève la carrière de réalisateur de Stanley Kubrick avec un véritable point d’orgue tant sur le plan esthétique qu’ « intellectuel » !


Réalisé à la veille de l’an 2000, Eyes Wide Shut met en scène un couple aisé incarné par Nicole Kidman et Tom Cruise. Kubrick, à travers ces deux personnages, ne propose pas uniquement une réflexion sur les relations conjugales mais aussi une étude précise de la société qui tend vers le 21ème siècle. Kubrick nous offre bien plus qu’un exposé de la décadence des mœurs de la haute société. En effet, le réalisateur mène une véritable étude de la question du désir et du Libertinage des temps modernes.


Le désir : On a souvent eu tendance à analyser ce film selon l’angle de la psychanalyse, et plus précisément selon celui de l’interprétation des rêves : « Et qu’aucun rêve ne soit jamais qu’un simple rêve. » La scène clef de la question du rêve et du désir est, selon moi, celle de l’aveu d’Alice à Bill. Alice avoue à Bill avoir fantasmé sur un marin qu’elle aurait vu dans la salle à manger d'un hôtel, et qu’elle y aurait repensé lors d’un de leurs rapports. Le rêve a une fonction strictement érotique pour Alice mais, heureusement pour Bill, ne se réalise jamais totalement (ce qui le rendrait cocu). Dans ce couple atypique, Alice est celle qui éprouve du désir mais qui sait le maintenir à sa forme de fantasme au nom de la survie de son mariage et de l’éthique sociale. En tant que femme du célèbre docteur Bill, elle se doit de suivre une certaine conduite morale, en société. Bill aussi éprouvera du désir envers d’autres femmes, mais plutôt que de le maîtriser à l’état de rêve, il sera tenté de l’assouvir sans même y parvenir. A maintes reprises il se retrouve dans des situations qui éveillent son désir et la curiosité de l’assouvir mais jamais il n’ira jusqu’au bout, il restera latent et constituera une véritable névrose pour le personnage. Seules la tentation et la curiosité s’expriment. [Vous spoiler m’aiderait à affiner ma critique mais je maîtrise ce désir en me disant que vous regarderez le film et comprendrez ce que j’ai voulu vous dire…]. Bill n’est pas maître de ses pulsions comme on pourrait le penser, au contraire elles tentent de prendre possession de ses actes, et c’est bien souvent son contexte social lié à son incapacité d’avouer son désir qui entrave son extériorisation.


Ce qui viendra à bout de la névrose de Bill est la dernière réplique du film: « And you know, there is something very important that we need to do as soon as possible. /- What's that ? /- Fuck." Alors que Bill restait dans un discours vague sur ses désirs, Alice est franche et tend vers l’action qui permettrait à la fois d’assouvir ses propres fantasmes et sortir son mari de son rapport ambigu au désir.


L’ambiance du film m’a immédiatement fait penser à Laclos et au Libertinage. En effet, faut-il strictement voir le cercle de dépravés dans lequel entre Bill comme une simple image de la décadence des mœurs ? NON ! Il me semble que le personnage de Victor Ziegler joué par Sydney Pollack est l’incarnation même de la branche libertine des « talons rouge » comme on les appelait en France au XVIII. Le talon rouge est le libertin non seulement débauché mais aussi philosophe, qui fait usage d’un regard critique sur la société qu’il formule dans un bel esprit. L’ambiguïté du Libertin réside dans sa double identité l’une idéale aux yeux de tous et l’autre, masquée et anticonformiste. Bill aussi tend vers cet idéal libertin mais n’ose l’admettre, n’étant capable que de formulé son désir dans un propos vague.


EN BREF :
Kubrick a pour chant du cygne un film accompli tant sur le plan cinématographique, il ose suggérer puis montrer les choses, que sur le plan des messages que cette esthétique délivre.
.

CharlesCrtn
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le 23 nov. 2013

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Charles Creton

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