C'est finalement hors de son temps que Max est à son Max !

Dans le désert apocalyptique des routes, des courses-poursuites, des hommes-bêtes et du pétrole, fleurit une belle allégorie de notre actualité.
Les Hommes sont devenus fous, les mâles sont devenus des prédateurs assoiffés de lait maternel et de sexe, les femelles sont devenues soit des esclaves soit des Amazones cruelles en pleine révolution hurlant "Nous nous sommes pas des objets !" Les humains ne sont plus que des biens de consommation, des fichiers de compétences tatoués dans le dos, des "globulards" ou réservoir du sang sur pattes (donneurs d'organe par défaut selon la loi ?), des "pondeuses" (mères porteuses ou simples vaches à lait ?). Dans ce monde, on montre les dents, bien en avant pour impressionner comme pour faire peur et on joue aux Dieux.
Le monde se meurt de mutations, hanté d'êtres livrés aux corbeaux, devenus des araignées-arbres géantes. Le monde se meurt d'irradiations, de guerre, de route de goudron parmi les terres desséchées, ayant fait l'économie de l'écologie. Le monde se meurt d'infertilité et d'enfantements monstrueux et difformes, les sexes guerroyant, les gênes se mêlant dans un incontrôlable vertige.
Et cette question lancinante: QUI A TUÉ LE MONDE ?
Ça ne vous rappelle rien ? Toute référence à des mouvements sexistes, à des crises écologiques et culturelles majeures des années 2010 n'est pas si fortuite ...


C'est dans ce futur apocalyptique, si miroir du nôtre, qu'une relique venue des temps anciens (de temps de plus en plus considérés comme plus sages - la fin des années 70, le début des années 80), un fou aux allures de rocker qui affrontait des punks, va explorer un monde changé, portés aux frontières du supportable. Fou en son temps, il devient l'être de raison aux pays où seuls les fous survivent et se retrouve ballotté entre les mâles alfa puant de testostérones et les garçons manqués type MeToo qui jouent les castratrices. Voyez ces garçons idiots, gobant toute fable sacrée et incapable d'appeler un arbre un arbre ! Voyez cette femme furieuse, crâne rasé, le bras androïde, le regard dissimulé sous de la suie, qui joue les garçons manqués pour sauver les esclaves d'un harem en sous-vêtements et voiles cousus d'or !
La relique de la science-fiction de la Guerre froide, Max, hanté par son passé, doit accepter ce nouvel état mondial dément et vivre avec. Et c'est là que Max le fou se réalise le plus, dans ce monde au bord de mille extinctions diverses, en proie aux déviances, qui n'est plus le sien. Tout d'abord impuissant, réifié en proue de navire ou en sac de transfusion sanguine, Max va tenter de trouver sa place. Une place qu'il va trouver au côté de son alter-ego féminin, Furiosa, qui, comme lui, a tout perdu et n'a plus rien à perdre. Deux êtres qui cherchent leur voie, celle de la rédemption.


S'il est un point faible dans ce film, c'est certainement sa touche féministe militante, la touche électron libre de ce nouveau Mad Max. Il est si courant que les blockbusters se mettent à l'heure de MeToo que ce genre d'initiative tient moins du courage que de la démagogie. Pour autant, cette touche est atténuée par la volonté de faire incarner par la femme et surtout sa féminité un idéal de paix qui se heurte à la violence de l'impitoyable virilité.


Les points forts, eux, sont surnuméraires !
À commencer par le nouveau Max, celui de Tom Hardy qui se fond si bien dans le jeu de son aîné, Mel Gibson qu'on y voit presque que du feu. Il ne se contente néanmoins pas de l'imiter, il le dépasse, laissant entrevoir l'intériorité du héros, ses failles, ses cauchemars, ses folies et ses regrets par flashs vifs et tout en surgissement. Max trouve sa raison d'être dans le cinéma actuel, où le héros doit se livrer, s'épancher, s'auto-psychanalyser et se montrer plus humain, parce qu'il est ainsi depuis le début de la saga. Ses voix intérieures,jusqu'ici amuïes, éclatent et se font entendre dès les premières secondes du film. Et s'il est parfois laissé sur le banc de touche au profit de Furiosa, Max se déchaîne quand le spot revient sur lui.
L'autre point fort est donc évidemment Furiosa, incarnée avec force et charisme par une Charlize Theron tout en flegme et en rage contenue, comme un soldat blessé qui veut mourir debout. C'est moins son design très Demi Moore d'À armes égales qui fait son talent que son incroyable interprétation d'un personnage rebelle et courageux, prêt à lutter contre la terre entière pour défendre ses idéaux et rendre le monde meilleur. Une force tranquille et imposante qu'il est d'autant plus poignant de voir tomber à genoux dans le désert dans un impressionnant cri mêlé de rage et de désespoir. Une incroyable prestation qui fait de ce rôle l'un des meilleurs sinon le meilleur rôle de la belle blonde de Dior, en total contre-emploi.
Point fort insoupçonné, ce Nux, jeune homme victime de sa naïveté qui se transforme en véritable héros, jusqu'à sacrifier sa vie, troquant son faux Dieu pour une belle déesse rousse de son élection. Joué tout en innocence et peut-être aussi en cabotinage par Nicolas Hoult (X-Men, Tolkien), ce personnage a le mérite de souligner la zone grise qui s'insinue au beau milieu de ce chaos épique, forcément manichéen.
Chaos épique que le spectateur attendait depuis le premier opus en 1979 et qu'il obtient, à boire jusqu'à la lie ! Enfin Mad Max livre une course-poursuite d'un film entier dans un style aussi infernal que le final de Permis de tuer ! Tout le film est une chasse à courre motorisée, partant dans tous les sens - droit devant, sur la droite, sur la gauche, en marche-arrière ! - jusqu'au final, dantesque à couper le souffle ! Un souffle retenu et coupé qui fait ressortir le spectateur avec une sensation d'apnée haletante de presque deux heures de film ! Une vision brûlée par ces rouges, ces oranges, ces ocres et ces flashs en noir et blanc quasi-subliminaux qui frappent la rétine et la marquent durablement ! Une claque esthétique, un véritable exploit !
Et enfin, une galerie d'antagonistes si folle, si monstrueuse, si inventive et si horrifique, que l'ensemble des précédents ennemis de Max n'ont plus qu'à aller se rhabiller ! La tête de cette galerie, trouvaille géniale, est d'ailleurs campée par l'interprète de Toecutter, le tout premier adversaire de Max, Hugh Keays-Byrne en personne. Ses traits ont vieillis, bien sûr, sous son maquillage mais la maturité est là, qui fait des merveilles ! Exit le petit truand punk, voici le Général Joe Moore ou Immortan Joe, monstre de sadisme en manque de paternité, revêtant un masque denté et gencivé affolant, qui lui donne une voix et une aura assez proche de celles d'un certain Dark Vador !
Il est entouré de toute une troupe de curiosités de la nature, des plus grotesques, comme ses fils - un homunculus balafré et le colosse du Brutus d'Astérix aux jeux olympiques sous perfusion nasale - aux plus jouissifs et vomitifs à la fois, comme le monstre de pâleur maladive édenté jouant de la guitare-lance-flamme.


Mad Max: Fury Road est une véritable gifle ! Il tend un terrifiant miroir à notre temps pour en montrer les horreurs et prévenir les erreurs à ne pas commettre. C'est un bel hommage à la trilogie des eighties, mieux, c'est une belle réintroduction de cet univers dans le cinéma des tenties, qui lui donne plus de sens encore. C'est une énième touche féministe mais plus nuancée sur le fond et c'est une séduisante, remarquable recherche esthétique d'action, d'horreur et d'épique jusque dans l'étalonnage sur la forme.
Mad Max: Fury Road est probablement le Mad Max qu'on attendait tous !

Frenhofer
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le 10 sept. 2019

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