Un lézard à deux têtes, une Ford Fallen mythique recyclée, une silhouette au milieu d’un paysage post-apocalyptique : voilà comment un réalisateur comme George Miller arrive à exprimer toutes les idées de son film en une seule image. En effet, l’animal muté symbolise le héros aux multiples visages (les adeptes de Joseph Campbell trouveront de quoi analyser dans ce film), le fameux « interceptor » remanié montre une volonté de renouveau de la part du réalisateur et ce personnage de dos s’apparente à une ombre du passé, torturée dans un monde en ruine. Max Rockatansky (Tom Hardy), assailli par les multiples voix qui font écho dans sa tête, ne va finalement pas se retrouver si seul dans ce monde de fous. Comme ce lézard janusien, la figure du héros de ce personnage mythique va être démultipliée, dans un récit dynamique où éléments du passé et du présent ne cessent de se côtoyer. Mad Max : Fury Road questionne : De quelle manière l’esthétique d’un film peut–elle renouveler la figure du héros ?


Fantôme solitaire loin des hommes, Max doit fuir des « Warboys », sortes de kamikazes fanatiques, qui ne tarderont pas à l’attraper et à l’utiliser comme donneur de sang universel. Un rythme effréné est lancé et on ne pourra plus y échapper. Cet enchainement de situations ne fera que continuer avec la course poursuite engagée par l’impératrice Furiosa (Charlize Theron), ayant récupérée des femmes de la citadelle d’Immortan Joe afin de les libérer.


« Mon monde est à feu et à sang ». Une des rares phrases articulées et prononcées par le personnage de Max Rockatansky, cette première réplique suggère le chaos et le désordre auquel nous allons assister. Ces paroles seront explicitées par l’image et le son qui ne tardera pas d’arriver. Parce qu’au final, qu’est-ce que le cinéma ? Ce sont des dialogues et des textes bien écrits vont répondront les hommes de théâtre. Mais George Miller est revenu en 2015 afin de nous rappeler que le cinéma est une autre forme de langage. Sa syntaxe, composée d’images en mouvements et de mouvements de l’image, permet ainsi de créer une narration purement visuelle. La suite de ce film n’est donc que sons et images : le bruit du métal hurlant se juxtapose aux courses poursuites effrénés. La réalisation virtuose capable de créer des plans iconiques à chaque scène, souligne la créativité du metteur en scène. Avec une intelligence très pratique, le réalisateur ne perd jamais en efficacité et octroie au film de nombreux moments de bravoure. On pense immédiatement à la séquence dans la tempête, véritable prouesse visuelle, mêlant jeux de couleurs et lumières hallucinatoires. Ces éblouissements sont nombreux dans ces paysages désertiques, présentant un aspect crasseux et témoignant des nombreuses retombées radioactives qui ont dû avoir lieu. John Seale, le chef opérateur, a considérablement participé à ce rendu plastique si épatant. Filmé à échelle humaine, la plupart des plans montrent Max comme subissant plus l’action qu’il n’en est le maître. Parmi ces plans vertigineux, les teintes vives et chaudes du désert se contrastent avec les couleurs du métal. Les véhicules avalant les routes à toute allure, attribuent au film l’idée de mouvement constant. Pas le temps pour les dialogues ! Dix minutes, c’est déjà trop ! Laissons place aux dix mille tours par minutes du moteur de cette action !


Le rythme incessant de ce long-métrage ne cesse de mettre en avant chaque péripétie. Anthologie d’action pure, Mad Max : Fury Road nous présente tous ces évènements, qui s’enchaînent de manière quasi ininterrompue. Ce défilé intensif se déroule devant nous sans jamais s’arrêter. L’énergie se dégageant du film monte, monte, monte … sans jamais redescendre. Heureusement que quelques fondus au noir sont disséminés un peu partout afin de pouvoir reprendre notre souffle au milieu de cette fresque flamboyante. Toutefois, on ne se perd pas dans une folie ambiante. Contrairement aux personnages, nous comprenons tout ce qui se déroule sous nos yeux et les cascades se succèdent avec une telle clarté. Rythmé à la nitroglycérine, le montage demeure d’une précision millimétrique. Véritables duels de western, les courses en voiture se répondent, une tension inépuisable s’installe. Les chocs ponctuent le montage et marquent les ruptures. Parfois, les mouvements de caméra cherchant délibérément à avancer (travelling avant, zooms, caméra sur le capot des voitures), ne suffisent pas et le monteur a recourt à une accélération de l’image. Représentant la folie du personnage de Max, cette technique de montage reste peu utilisée de nos jours …


Parce que George Miller nous dévoile en fait une alternative aux « Blockbusters » aseptisés qui abusent d’effets numériques et de fausses émotions sur le spectateur. La séquence d’introduction dans la citadelle en est une parfaite preuve. L’image accélérée produit un effet de précipitation donnant un caractère burlesque à chacune de ces scènes. La vitesse des cascades en prise de vue réelles ne sont pas sans rappeler les acrobaties de Buster Keaton. Max malmené par les évènements, il sera amené contre sa volonté à se trouver dans des situations plutôt incongrues. A la manière de « l’homme qui ne rit jamais » Max grogne au milieu de cette magnifique scène de course poursuite des perches. Cette scène est significative et dégage les différents aspects du film : le visuel, la violence, l’urgence et le grotesque. Ce genre de passage fait écho aux films d’action américain du XXème siècle, où le numérique n’avait pas encore pris le pas. Les effets voulant effectuer un retour aux sources sont légions dans le film. Entre zooms et fondus au noir, de nombreuses techniques n’apparaissant plus dans nos canons actuels sont utilisés. Le réalisateur n’hésite pas non plus à se faire plaisir dans un torpillage pyrotechnique avec des explosions réelles.


Mais cette volonté d’avoir à l’écran des décors gigantesques et réels, n’est-ce pas un pur caprice ? Cet homme à la guitare-lance flamme participant à la diégèse du film, n’accentue-t-il pas trop le côté fantaisiste et jubilatoire ? En outre, ne sommes-nous donc pas face à une histoire simpliste ?


La bande sonore dans Mad Max : Fury Road prend une place non négligeable, voulant elle aussi en faire trop. En effet, dans cette course poursuite rythmée comme un concert de rock, les explosions détonent magnifiquement, les coups de feu font office de cymbales et les moteurs ronronnent comme jamais. En outre, les percussions des thèmes de Junkie XL sonnent encore dans nos têtes les mois suivant la séance. La musique essaie par ailleurs de toujours trouver une justification dans le film. Elle remet constamment son caractère intra diégétique dans l’œuvre : l’absurde véhicule orchestre accompagnant Immortan Joe en guerre s’accorde parfaitement avec la musique. Le mélange des styles s’effectue, notamment lors de la séquence dans les marécages bleutés sous fond de Verdi. Mais au milieu de cette confusion de sons, Max ne maîtrise rien et semble perdu. Dans cette même séquence, le seul acte héroïque qu’il fera se déroulera caché dans la fumée du brouillard.


George Miller ne délaisse pas son héritage et essaie de revenir à des histoires simples (à ne pas confondre avec simplistes). Il revisite les schémas archétypiques du héros. Ce voyage cyclique nous montre que le personnage est revenu à sa situation d’aisance initiale. Mais le héros n’a pas forcément eu un voyage de tout repos. A l’instar des récits grecs, l’histoire de ce film prend la forme d’un aller-retour. Il va donc devoir affronter tous les cerbères, les tempêtes pour rejoindre les ancêtres. Puis il va revenir sur ses pas afin d’effectuer une vraie renaissance. Néanmoins, au vu de l’attitude plutôt passive de Max pendant la majeure partie de l’aventure, ne peut-on pas attribuer le statut de héros à Furiosa ? N’est-ce pas elle la réelle héroïne de l’histoire ? Cette déconstruction du héros de Max se fait au profit d’un personnage féminin fort.


Finalement, Max disparaît au milieu de la foule à la toute fin, comme un parfait inconnu, alors que Furiosa est élevée littéralement au rang de sauveuse. Notre conducteur n’est plus qu’un spectateur.


Après que Miller ait torturé toutes ces femmes dans ses films précédents, il décide de dévoiler des femmes qui luttent pour se sauver des hommes. Une dilution de la fonction sujet s’opère ainsi sur l’impératrice. Comme dans Le héros aux Mille et un visages de Joseph Campbell, le réalisateur nous montre que la figure d’un protagoniste peut se diviser et se retrouver sur d’autres personnages. De surcroit, nous pouvons presque dire que les acteurs peuplant ce monde de fou ont tous une place importante et qu’ils peuvent presque tous être réduits à des objets, du carburant, que Miller utilise pour alimenter son spectacle. Immortan Joe en tant que père de ces « boys » lui aussi utilise les êtres humains que des objets (que ce soit les femmes ou les hommes). Trop séquestreur, il verra ses femmes se couper de leurs chaînes, comme elles couperaient le cordon ombilical pour se détacher de leur mère.


En définitive, il existe encore de nombreuses symboliques autour du film, comme la critique du matérialisme et de l’écologie, mais le réalisateur a voulu par-dessus tout présenter une nouvelle conception de la notion de héros. Ce décuplement de personnalités fortes à l’image confère au film une certaine richesse. En outre, ces protagonistes évoluent linéairement dans un véritable spectacle. Si ce n’est pas la caméra qui avance, ce sont les personnages qui se meuvent dans le cadre. Avec un consensus énorme autour du film, cette œuvre demeure une pure réflexion esthétique sur le renouveau, le rythme et le mouvement. L’énergie se dégageant du film pourrait s’apparenter à celle d’un blockbuster classique, mais Mad Max : Fury Road est bien plus que cela. C’est l’œuvre d’un auteur qui impose une vision, pas forcément très innovante, mais sûrement oubliée, de ce type de cinéma.

LoïcLemoine
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le 14 janv. 2016

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