Mad Miller: un peu de nitro-méthane dans le cinéma

MAD MAX : Fury Road
De George Miller


Max Rockatansky est de retour dans l’univers post-apocalyptique qui a fait la renommée du célèbre guerrier de la route. Esclave de la démente Citadelle et de son seigneur de guerre Immortan Joe, Mad Max est à nouveau confronté à la folie qui accompagne les soubresauts d’une Humanité agonisante.



/ /QUAND T'ES DANS LE DÉSERT DEPUIS TROP LONGTEMPS...



Retour aux sources ou renaissance pour George Miller ? Marginalisé par Hollywood, le créateur de Mad max, visionnaire en son temps, a finalement trouvé la sortie du désert où il errait en en réinvestissant un qu’il connaît à la perfection. Au risque d’un nouveau coup de génie.
12 ans de maturation pour un projet maintes fois menacé, souvent reporté, longtemps incertain. A l’heure où les super-héros, omniprésents au risque de l’intoxication, gouvernent Hollywood aux côtés de franchises creuses et interminables, où l’usine à rêves s’étouffe dans ses propres dollars en attendant un nouveau pontage, l’arrivée d’une œuvre sans concession comme celle proposée par Miller semble relever du miracle.


Mais Mad max Fury Road ne sera pas un sauveur pour l’industrie, comme en son temps le 2ème opus n’avait pas empêché les « action-hero movies » de prendre le pouvoir.
Non, ce Mad Max vient juste pisser de la nitro pure sur un moteur hollywoodien fatigué. Et l’espace d’un instant, un furieux instant de 2h, on se reprendra à croire que le cinéma de divertissement peut être là où on ne l’attend pas, du côté de la surprise, de l’énergie et d’un sens rock de l’intelligence filmique. Pour tout ça un instant suffira.


Tourné à l’ancienne et rehaussé de touches numériques modernes, ce Mad Max est un poème sauvage et lyrique. Miller compose sur son propre héritage le tableau d’un monde de poussière toxique, un purgatoire de sable écrasé par un ciel inaccessible et d’un bleu constamment immaculé. Ce contraste, volontairement exacerbé, est l’apport principal aux structures visuelles héritées de l’œuvre de 1981. Par cette simple opposition de l’ocre et du bleu le film pose les contours de sa narration, la fuite impossible sur une terre dévastée et la recherche d’une élévation comme planche de Salut. Miller, le septuagénaire mis à la marge des studios, peut alors déployer toute sa virtuosité dans une mise en scène qui rend hommage à toutes les nuances d’un élément cinématographique important : la vitesse.


En effet, ici point de saturation du montage ou des cadres dans un ballet nauséeux de X images/secondes comme l’affectionne tant de blockbusters idiots. Non, ici la vitesse rime avec ampleur dans les plans larges, avec puissance dans des plans de face absolument déments, avec sauvagerie quand il s’agit de marier les points de vue personnages et véhicules. Célébrer la vitesse c’est aussi donner aux scènes de fureur le rythme adéquat, comme ce tempo battu par les tambours et les déraillements de guitare, comme cette clôture de séquence dantesque où une torche finie de consumer l’adrénaline avant un raccord.


Bref George Miller est le chef d’orchestre infaillible d’une partition pourtant délicate à mener. Une harmonie de fureur qui à aucun moment ne s’éternise, ne patine ou ne frustre par une coupe trop brusque. Tout tient à la grâce d’une maîtrise qui s’étend de la mise en scène au montage en passant par une gestion impeccable du son et de la bande musicale, au diapason parfait de l’ensemble du long métrage.


En un mot une symphonie filmique.



/ /QUI A TUÉ LE MONDE ?



Dans ce cadre maitrisé de main d’orfèvre on découvre un véritable maelstrom d’idées qui vient enrichir l’univers déjà marquant de Mad Max. De la Citadelle, cloaque démentiel, aux hordes d’improbables véhicules fonçant à toute allure en passant par les visions nocturnes d’une terre malade de ses occupants, tout concoure à l’incarnation d’une Humanité vivant l’ultime geste de son Histoire, le chapitre terminal d’une espèce cannibale bientôt engloutie par les sables.


Cette pluie d’inventivité ne serait rien sans le liant de recyclage mythologique qui offre à Fury Road, par-delà la virtuosité de ses séquences de poursuites, une profondeur inédite dans l’œuvre de Miller.
Convoquant une mythologie des premiers temps et de nombreux objets iconiques de l’ancien monde (à savoir notre monde contemporain) on se retrouve nez à nez avec société malade et hybride où le culte du V8 se mêle à l’imploration du Valhalla. Dans cette techno-barbarie se reconstitue les bestiaires merveilleux du Moyen-âge, avec une science mécanique quasi déifiée, où les véhicules eux-mêmes ressemblent à des parodies de monstres antiques. Ce sont mille et un détails, objets, sons, costumes, du plus discret au plus tapageur qui forgent la cohérence de cet univers démentiel.


Et cette cohérence de prendre corps dans une matérialité fascinante permise par un tournage où l’outil numérique ne s’illustre que rarement. Avec des véhicules assemblés pour l’occasion et 80% des cascades tournées en prises de vue réelles, le monde de Mad Max est autant une impression qu’une sensation. Le film a un gout de rouille et d’huile de moteur, les froissements de tôles et de carrosseries nous rappellent à un passé de cinéma où la technique cherchait aussi à amener les spectateurs dans ses audaces, et pas seulement vomir des pixels par gigaoctets.


On sent presque l’acidité, l’aridité du désert au bout des lèvres bon sang !


De cette mythologie recyclée et de cette matérialité revendiquée le film parvient à faire naître de manière imprévisible des images clés, des fulgurances visuelles propres à forger une nouvelle mythologie, celle des Wasteland, les Terres Désolées. Ce sont des War boyz pasmoldiant durant la préparation du Porte-guerre, se battant contre les Vautours comme des marins contre des créatures océaniques légendaires, harpons à la main. C’est encore la vision saisissante d’une tempête aux dimensions épiques, d’une simple gerbe de sable éteignant avec un lyrisme fou un capot en flammes. C’est une nuit d’un bleu surnaturel, une chorégraphie d’abordage où la folie se balance au bout de perches. C'est Furiosa, comme une Gaia mutilée, criant au sommet d’une dune. Les exemples se multiplient ainsi à l’excès, une sorte de poésie épique derrière le rugissement des moteurs.


Devant l’écran, on se tait et on dit silencieusement merci.



//LA FEMME EN PREMIÈRE PAGE DU DERNIER CHAPITRE DE L’HUMANITÉ



Pour autant que ce monde soit esthétiquement saisissant, c’est bien au travers des personnages que George Miller choisit de nous parler de notre propre société. Plus précisément il fait le pari d’illustrer par le sang et la poudre la célèbre tirade « La Femme est l’avenir de l’homme »…où plus distinctement ici de l’Homme.


Il faut bien l’avouer, dans Fury Road l’homme est en piteux état. Quand il n’est pas inoffensif parce que désarmé ou trop ingénu (Nux le Kamikasseur), l’homme n’est plus qu’un mâle. Au sauvage à la frontière de la démence, Max, répond une galerie de monstruosités. A l’image de la Terre qu’il a saccagée, l’homme est le réceptacle des malformations, colosse idiot ou nain déformé, fanatiques dévorés par des cancers, déjà plus que des demi-vies. Le masculin n’est guère à son avantage, d’autant qu’il apparait comme le symptôme des maux de l’Humanité en la personne d' Immortan Joe, image titubante d’un patriarcat malade, édificateur d'une parodie de société bâtie sur les fondements purulents qui ont fait tomber l’ancien monde (et dans lesquels nous vivons pleinement nous-mêmes).
Ainsi la Citadelle se dresse comme un temple où s’épanouit un fanatisme malade, Pétroville et son intendant comme le symbole financier et le culte du carburant, Le moulin à balles enfin, complexe industrialo-militaire dégénéré. La trinité qui gouverne notre monde contemporain domine cette parcelle mourante de terre dans Mad Max.


Exacerbé, exagéré certes mais plutôt très bien vu il faut le reconnaître.


C’est de ce constat que Miller tisse la trame fondamentale du film. Dans ce monde sous le joug d’un délire masculin de domination quelle place pour la femme ? Si les femmes que l’on rencontre aux premiers abords sont conditionnées par l’asservissement : femme-objet (« chromée et lustrée »), femme-ventre, femmes comme bêtes de trait, il serait bien imprudent de porter une conclusion trop hâtive.


La femme, et plus encore l’avenir de sa condition, est au centre du film.
Et encore une fois quoi de mieux que la mythologie pour auréoler cette quête. De la vision de ces femmes échappées du harem d' Immortan Joe, vestales au milieu du désert, traversant un enfer de sable et de métal, aux implacables amazones, guerrières et gardiennes, toutes les facettes féminines sont invoquées pour bousculer et mettre à bas un patriarcat dégénéré.


En pointe de ce voyage-combat on retrouve Furiosa, à la fois Imperator et valkyrie, personnage qui fait écho à Max. C’est un alter égo se battant d’égale à égale mais qui domine le personnage de Tom Hardy sur un point crucial. Là où Max n’est qu’un passager clandestin du scénario, ce qui sied très bien à un misanthrope au bord de la folie, Furiosa pour sa part est la figure porteuse d’une quête, et donc d’un sens dans ce monde désespéré. C’est donc une figure masculine fatiguée qui laisse le devant de la scène à une femme qui, libérée de sa condition, porte la seule vision héroïque qui subsiste.


C’est un renversement radical et intelligent des codes, qu’illustre bien ce seul élément : pendant près d’un tiers du film le héros masculin est muselé, tenu en laisse ! et ne doit son Salut qu’à une femme le réintégrant dans l’Humanité..


Fury Road un grand film féministe? Une telle lecture est possible même s’il apparait que c’est plus la recherche de cohérence dans un scénario où la féminité est centrale qui est à l’œuvre ici. En faisant de Max un personnage marginalisé, presque marginal au demeurant, George Miller est parvenu magistralement à donner à la fois tout son poids au casting féminin tout en magnifiant un ermite de la route, quasi mutique, bestial, dont les derniers soupçons de morale font la différence sans être pour autant une nouvelle solution masculine de blockbuster.


Un chapeau bien bas donc à un film de très haute volée, une perle brulante et cabossée sans véritables défauts apparents.


C’est fou, c’est rock, c’est baroque et on ne se lassera pas de rapprocher cette œuvre brillante de cette citation bien plus longue à méditer qu’il n’y parait :


"Celui qui doit combattre des monstres doit prendre garde de ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes dans un abîme, l'abîme regarde aussi en toi" Friedrich Nietzche


Vroum à toi George Miller !

Tom_Bombadil
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le 1 juin 2015

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Tom Bombadil

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