La première fois que j'ai vu Mad Max : Fury Road, je me suis ennuyé. Pris par le matraquage publicitaire engendrée par ce nouvel opus d'une sage à laquelle j'étais totalement inconnu, j'ai décidé de faire les choses bien. J'ai donc regardé les trois premiers opus, afin d'être familier à cet univers que l'on me dépeignait soudainement immanquable, formidable, révolutionnaire et j'en passe. Pourtant, je n'ai pas accroché. George Miller m'était décrit comme un génie absolu, créateur d'un nouveau genre de cinéma "post-apocalyptique" mais je ne trouvais aucun charme à cette trilogie. Les scènes mythiques que l'on m'avait décrites m'avaient parues sur-idéalisées. J'étais déçu. Je donnais cependant sa chance à ce nouvel opus, mais j'y retrouvais tous les défauts des précédents : un univers bien trop énigmatique, un rythme étrange, un scénario pas très abouti... Bref, j'avais vraiment l'impression qu'on m'avait sur-vendu la marchandise. J'étais encore plus déçu.
Et puis j'ai décidé que, quand même, si on parlait tant de ce film en tant de termes élogieux, c'est bien qu'il devait y avoir quelque chose. L'opinion publique peut se tromper, mais quand elle est si étonnamment unanime, ça cache quelque chose. Alors j'ai redonné une chance à Max.
C'est le premier aller-retour.
Cette odyssée d'un Ulysse moderne, poursuivi par ses démons, livré aux caprices d'une mythologie construite de toutes pièces, ne m'a plu qu'au second visionnage. Je ne saurai dire ce qui a provoqué ce changement : me suis-je fait aveugler par les soutiens inconditionnels à Miller qui m'ont peu à peu instillé leur poison ? Me suis-je éduqué à une appréciation plus profonde du cinéma ? Toujours est-il que j'ai enfin vu dans Mad Max un bon film. Après tout, certains vous diront (et j'en étais le premier !) que ce n'est là qu'une traversée du désert, un aller-retour dans le sable. Mais Miller parvient, en un nombre record de dialogues, à établir une cosmologie toute entière, avec ses mythes, son histoire, ses héros et sa théologie. Ce n'est pas un simple aller-retour, c'est une odyssée qui, comme toutes les odyssées, est chargée de symbolisme.
C'est le deuxième aller-retour.
Et puis quelque chose m'a frappé : Mad Max, c'est plus qu'un simple film post-apocalyptique. Après tout, on en a vu d'autres, et ils font souvent figure de divertissements à la fais-moi peur. Mad Max, c'est un film de science-fiction qui réussit l'exploit de ne pas faire appel à l'aliénation. Que je m'explique : en théorie littéraire, l'un des principes fondateurs de la science-fiction, c'est ce qu'on appelle "l'aliénation cognitive". Autrement dit, la nécessité de créer de l'étrangeté, de changer de cadres et de paradigmes, pour permettre la réflexion sur soi. Ici, il n'en est rien. Les réflexions qui ponctuent, en filigrane, le film, sont livrées dans un cadre qui nous est familier. Pas question de technologie futuriste, d'extra-terrestres ou de nouvelles planètes, nous sommes présentés à une humanité qui s'est vue chamboulée par les conséquences de ses propres actions, sur sa propre planète. Et qui se retrouve réduite à ce qu'elle était primitivement : des groupuscules d'humains, combattant pour leur propre survie. Mais esclaves de leur peu de technologie restante : Immortan Joe ne peut survivre sans son attirail, Furiosa est réduite sans son bras, Max est perdu sans voiture et tous sont esclaves du pétrole au même titre que l'eau.
C'est le troisième aller-retour : évoquer le retour forcé de l'humanité à une primitivité ancestrale.
Et le dernier aller-retour, c'est le parcours de Furiosa. Symbole d'une organisation instinctive de la société, elle part à la recherche de l'espoir que constitue une mythologie personnelle, c'est l'aller. Elle se retrouve confrontée au doute, au désespoir, à la remise en question, c'est la traversée du désert. Elle décide de s'en retourner et d'abandonner l'espoir qu'elle s'est créé. Elle vainc ses démons, elle se crée une nouvelle identité, c'est le retour.
Mais il y a finalement un dernier aller-retour : Immortan Joe s'en va en guerre, Furiosa s'en revient impératrice. Comme toutes les révolutions, ce n'est qu'une affaire d'aller et de retour : on oublie trop souvent qu'une révolution n'est qu'un tour sur soi-même, autour d'un axe fixe. Peu importe qui est à sa tête, le système persiste. Immortan Joe s'en va, ne revient pas (du moins vivant) et Furiosa prend sa place. Mais elle ne changera rien, ou pas grand-chose. Là encore, c'est le génie de Miller que d'amener cette réflexion sans une seule fois avoir recours à l'aliénation extérieure. Ce n'est finalement que d'aliénation intérieure dont il est question. Et Max en est le symbole vivant : un nihiliste altruiste.