Mad Max est de retour et il est passablement énervé. Incarné par un Tom Hardy à la fois christique et impitoyable (Mel Gibson zonant toujours dans le purgatoire des anciennes gloires de Hollywood, il est donc logiquement resté à la maison), le plus grand survivor du road movie encaisse et distribue dans une ambiance à la fois mystique, fétichiste, concassant le mythe pour mieux le reconstruire. Évidemment, le menu propose toujours son lot de grosses cylindrées, son art-punk peint de folies, de poursuites infernales, impitoyables, et d’un univers post-moderne apocalyptique volontairement grotesque, moins premier degré que The Road (John Hillcoat, 2009). Cette route, creusée dans le sable et non plus le bitume glutineux des débuts, offre ici un décor chaotique décharné où la poussière redevient poussière.
Trente ans après le (trop) new-age Au-delà du Dome du Tonnerre et cinq films seulement (dont les excellents Babe et Lorenzo), l’australien George Miller revient donc derrière la caméra pour storyteller cette déflagration à la fois sauvage, brutale et primaire, cette échappée belle de belles échappées des griffes d’Immortan Joe, cinglé notoire, maître de la Citadelle où (sur)vivent une bande de furieux. Aux côtés du mutique Max (les dialoguistes ne se sont pas cassés une clavicule), adepte de la solitude absolue, Imperator Furiosa (Charlize Theron, impeccable) fonce pied au plancher dans ce désert qui semble infini avec l’acharnement d’une héroïne sortie d’un bouquin d’Enki Bilal.
Le trip post-moderne qui en ressort essort le film d’action américain tel que les fabrique aujourd’hui la kyrielle de faiseurs lambda vieillis sur le champ : à 70 ans, George Miller ne se contente pas d’accomplir l’exploit de surpasser ses jeunes concurrents, il réalise un film totalement personnel tant sur le fond (écolo féministe) que sur la forme (ellipses, fondus au noir, accélérations artificielles), activant l’imaginaire dans un western sublime (image magnifique signée du grand John Seale comme sur le plan, suspendu, des “échassiers“) sans jamais être coulé par son budget imposant et des contraintes commerciales épuisantes. Même si Fury Road est le fruit d’une longue gestation (une douzaine d’années) et aura nécessité des prises de vue supplémentaires (rarement annonciatrices de bonnes nouvelles) avec des technologies novatrices (Edge Arm) permettant aux acteurs de réaliser aux-mêmes quelques cascades impressionnantes, le film est bluffant de maîtrise technique, de rythme haletant sans excès d’effets numériques, de mouvements de caméras hystériques. Le sens du cadre est là. Le talent également.
Du spectaculaire qui décoiffe ! Pyrotechnie sans anesthésie locale, ce déferlement de contre-culture métal dont le guitariste aveugle est le symbole joue avec un humour noir calibré et ne verse jamais dans l’horreur gratuite ou la nostalgie vaine. Le réalisateur penche davantage pour le crépusculaire sans abuser des acides. Projet classé casse-gueule dès son annonce, Mad Max: Fury Road fait donc mieux que convaincre, il impressionne. Plus qu’une ressucée de franchise poussiéreuse, ce quatrième épisode redistribue les cartes sans changer de jeu. Sûr de lui, George Miller a déjà prévu deux épisodes supplémentaires et plusieurs comics dans la foulée. Autant dire que les adieux à l’enfer des routes n’est pas pour demain. Et c’est une bonne nouvelle !
Cyrille Delanlssays
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