L'auteur et réalisateur du mal-aimé "Saint-Ange", Pascal Laugier, crée le buzz en 2008 avec ce film qui a relancé la trop courante polémique sur la censure en France. Une évidence quand on a vu l'année précédente le gentillet "Frontière(s)" déjà 'victime' de ladite polémique...
Qu'on se le dise, ici la polémique avait au moins matière à exister car le spectateur moyen aura vite fait que qualifier ce film d"extreme". Tout acte extremiste, qu'il soit religieux ou artistique, a tendance à diviser le monde en plusieurs groupes avec grossièrement "ceux qui adorent", les "neutre" et ceux qui "méprisent". Ce film ne dérogera pas à cette règle.
Alors que "Mad Movie" crie ô genie, "Les Cahiers du Cinema" hurlent leur dégout; quand "Le Monde" ne se mouille pas en parlant de parti pris et d'art conceptuel, il se fait reprendre par "Cinelive" qui essaye d'en dire le moins possible; si "Brazil" y voit une maestria alors "Télérama" s'indigne devant la gratuité écoeurante du métrage... Rassurez vous, chez les spectateurs lambda tout comme sur SC c'est exactement la meme chose ;)
Ce que l'Histoire du Cinéma nous apprend sur ce genre de film, c'est qu'il en sera toujours ainsi... Il aura fallu près de 15ans pour que certains critiques, qui avaient massacré le film à sa sortie, avouent finalement que "Orange Mécanique" possède des qualités techniques indéniables derrière ses propos 'douteux', sa violence soit disant 'gratuite' et ses scènes, pour l'époque, excessivement 'violentes' et 'choquantes'... De nos jours, c'est encore timidement qu'on ose à peine murmurer que "Salò ou les 120 Journées de Sodome" est un film extrêmement intelligent qui cache sous ses images 'immondes' et 'ignobles' une métaphore sans égale, pareille à un hurlement de son auteur...
Inutile donc de s'attendre à ce qu'un esprit formé rudimentairement au Cinéma arrive à admettre que "Martyrs" va bien au delà d'un voyeurisme malsain qui nous gave d'une violence apparemment inutile et qu'il n'est pas un enième 'torture-porn-movie'...
De même, l'humain étant ce qu'il est, inutile de demander à un 'hater' de vanter les qualités techniques du métrage car, mauvaise foi aidant, il n'en trouvera aucune; et réciproquement, inutile de demander à un 'lover' de montrer du doigts les défauts pourtant visible du fond comme de la forme...
Je ne me prétend pas meilleur qu'une autre personne, mais ce qui m'interesse en critique, c'est de savoir rester objectif (ou d'essayer un maximum de le rester, libre à vous de m'en croire capable ou pas ^_^) en me concentrant sur "le produit cinematographique". Si j'ai aimé le film ou pas n'a pas d'importance et ne doit pas en avoir, encore plus lorsqu'il s'agit d'un film qui divise et dérange autant que celui là.

Passons donc aux choses serieuses...
La réalisation de Laugier s'est nettement améliorée depuis son premier film et on notera plusieurs incisions volontaires dans le genre et le rythme, ramenant à chaque coupure une volonté différente de la partie qui précède. Chacune de ces parties pose une ambiance et permet de mieux construire la suite du récit, chose effleuré avec "Saint-Ange" sans arriver à ses fins. Ici les differentes 'sous-parties' diffusent une idée simple tenant aussi bien de l'horreur brute que d'un réalisme cinématographique exacerbé et bien souvent influencé par d'autres métrages. Les cadres, la photographie (tons chromatiques, niveaux, contrastes et palettes surtout) ainsi que les éclairages soulignent ces changements de parties de manières subtiles et nuancés, permettant ainsi à l'oeil averti de déceler un contexte et un enjeu différent. Ces indices visuels s'accompagnent de plusieurs facteurs tels que le temps ou le lieu pour créer une ambiance propre permettant de dégager differentes entités sensitives et émotionnelles dont la perception ne dépendra finalement que de l'ouverture et de la réceptivité du spectateur.
En restant focalisé sur le coté technique, on voit assez facilement et distinctement six parties plus ou moins longues se dessiner. En premier lieu une introduction qui nous plonge directement dans le vif, assénant au passage et sans aucune manière un cliché visuel outrancier mais volontaire sur les violences sur mineurs autres enfants battus. Vient ensuite le generique avec ses effets de 'films d'archive d'un hopital psychiatrique' en faux monochrome tendance sépia suivit d'une saynète vaguement horrifique qui font de cette seconde partie une sorte de clin d'oeil à certains films d'horreurs d'entre les 70's et les 80's, officiant ici comme une transition vers une troisième partie. Si les deux premières 'parties' sont finalement très courtes, ce n'est pas plus mal, le réalisateur à montré ce qu'il avait à montrer et s'attarder dessus aurait été passablement inutile.
La troisième partie pourrait etre qualifier grossierement de "vrai début du film", tranchant nettement avec les deux parties d'introduction en optant pour un parti réaliste saisissant de par sa banalité premiere. Une scène de petit déjeuné en famille tout ce qu'il y a de plus 'normal', digne d'une publicité bourrée de clichés qui nous ramène à notre platitude quotidienne, mais basculant d'un trait dans un jeu de 'cache-cache' meurtrier. La situation mêlée à l'incompréhension du geste tout comme la construction de la séquence ne sont pas sans rappeler "Funny Games", montré ici dans une version plus brutale et trop facilement résumé. L'enchainement n'est pas aussi judicieux que dans "Funny Games" et si l'idée etait de faire contraster ce dimanche en famille avec une violence à premiere vue injustifiée, on peut sans mal trouver que c'est tout sauf ingénieux de la part du réalisateur tant c'etait évident. L'effet de surprise est tué dans l'oeuf avant que la mayonnaise ait le temps de prendre, mais on arrive tout de meme à dégager les intentions du réalisateur, un peu trop facilement peut etre, ce qui est quelque part assez dommage.
La quatrième partie fait la part belle à un cinéma d'horreur plus 'americainisé', baignant dans plusieurs courants comme le thriller psychologique, les films fantômes ou démons, le slasher... Si le twist de cette partie peut etre trouvé assez facilement aussi, surtout si on à vu des films comme "Haute Tension" et qu'on a été attentif à la seconde partie, la réalisation malmène le spectateur comme il faut et trouve une certaine efficacité tant dans le rythme que dans le visuel ou le sonore. Une bonne alchimie globale qui ramène a un cinéma d'horreur moderne presque classique. Le gore reste somme toute assez sobre et la violence n'y est pas plus "extrême", ni visuellement ni psychologiquement, que dans bon giallo ou un bon slasher... Une partie maitrisée par le réalisateur qui se lance dans un exercice de style sans prétention, ponctué de quelques images presque 'trop belles' ou 'trop soignées' pour le genre, ce qui ajoute un coté contemplatif à certains passages dans le but supposé d'aiguiller le ressenti du spectateur jusqu'à une certaine implication émotive.
Si les subterfuges et autres ficelles employés par le réalisateur n'ont pas encore suffit à entrainer le spectateur dans la spirale empathique voulue, il sort les grand moyens dans sa cinquième partie consacrée à la monstruosité humaine. Le monstre ici dévoilé est 'victime'. Famélique, poussant des petits cris et des gémissements d'animal, d'apparence presque putride, arnaché de métal fixé à meme la chair et les os... Ce monstre appelle autant la pitié que le dégout, dualité remarquablement mise en scène grace à des mouvements de caméra sobres, des plans qui en montrent assez pour que le spectateur se retrouve aux meme loges que l'héroïne, à la fois témoin et voyeur, tous deux impuissants. On notera aussi un gros travail sur le maquillage dont le rendu est sans reproches. Cette partie rassemble les elements necessaires à une version horrible "Frankenstein" avec ce monstre façonné par les sévices et les mutilations. L'arrivé de "l'Homme" fait basculer là aussi la situation et nous dévoile le "pourquoi?" par la meme occasion. Le "pourquoi?" pourra paraitre insipide, peu satisfaisant, complètement stupide, débile, mais servira surtout de transition pour la derniere partie.
L'ultime partie du film pourrait etre qualifier basiquement d'apologie démonstrative du martyr. Les violences sont devenues concretes et parleront a la majorité des spectateurs, on n'est plus dans le simple film d'horreur... Le réalisateur fait de cette partie la plus réaliste du film, d'une froideur presque documentaire, montrant l'inhumanité de l'homme dans sa forme la plus accessible au quotidien, avec de 'simples' coups de poings... Dans un 'torture-flick' on a generalement une violence et une torture accessoirisés, mais ici pas d'instruments de tortures, pas de machines fantaisistes à la "Saw", pas de recherche d'originalité dans la violence façon "Hostel", pas de sadisme à la japonaise, pas d'erotico-trash à la sauce italienne, pas de tortures paramilitaires ou d'electrochocs... Ici rien de plus qu'un homme qui frappe à mains nues, encore, encore, encore, encore, encore et encore... On quitte le film d'horreur pour basculer dans le 'fait divers', et c'est là le propos le plus important (et pour certains le plus choquant) du film.
L'épilogue de cette derniere partie laisse planer une question concernant le scenario, mais laisse surtout une touche de déception en basculant une ultime fois dans l'horreur cinématographique.

Une construction originale et bercée de references qui montre que le film n'est pas juste une idée en l'air histoire de montrer de la violence pour de la violence et qui, si on s'y attarde, enlève toute idée de facilité ou de gratuité au métrage.
Le montage s'avère astucieux dans plusieurs séquences, original dans d'autres, mais pour le gros du film on note que le montage oscille entre plusieurs genre avec aisance, soulageant le rythme et permettant ainsi une plus grande fluidité, ce qui permettra une meilleure immersion et évitera au spectateur de décrocher, meme si quelque fois c'est limite.
Le gros reproche que l'on peut avoir vient du scénario et du fameux "pourquoi?" qui parait quand meme léger et ne suffira peut etre pas au spectateur moyen. Si dans l'ensemble le scénario se tient, il est dommage de voir la simplicité avec laquelle les retournements et les changement de situation sont amené. Le manque d'homogénéité globale et cette facilité dans les retournements, aussi improbables qu'attendus, entachent la crédibilité et la profondeur du film, le tout tendant à accentuer ce sentiment de 'gratuité' de la violence. Un plus gros travail sur les transitions entre les parties et une meilleur explication pour justifier le propos global auraient été les bienvenu.
Il ne faut pas se leurrer, se retrouver avec une vieille peau qui nous fait un speech expliquant que son groupe de débiles sadiques nous font un remake de "L'Experience Interdite" sauce 'ultra-violence', ça restera en travers de la gorge de pas mal de monde...
Peu d'effort aussi dans certains dialogues... La scène en famille fait dans le potache entre une pub pour le pain Harry's et un ersatz de "Une Famille Formidable" qui serait tombé sous le joug d'un scénariste d'AB Production... Le speech de la vieille est surfait, les dialogues entre les deux héroïnes basculent trop souvent dans un pathos grandiloquent sans grand interet et peu crédible... Heureusement pour nous, les actrices arrivent à donner un peu de couleur à tout ça.

Coté casting, les deux actrices principales donnent véritablement vie à leurs personnages. Mylène Jampanoï n'est pas mal dans son rôle de victime débordant de psychoses, border line au possible et frolant souvent l'hystérie, mais on a parfois l'impression d'un surjeu un chouilla agaçant. Morjana Alaoui, quasi inconnue dont c'est seulement le deuxième film, crève l'écran avec une interpretation à la fois viscérale et toute en nuance. Une performance notable et relativement impressionante. On retiendra aussi Emilie Miskdjian qui interprete 'le monstre/la victime' dans ce que j'appelle 'la cinquieme partie'. Pour le reste, c'est bonnet blanc et blanc bonnet dans le non-jeu poussif qui tend jusqu'a la médiocrité... Heureusement qu'on ne les voit que tres peu...
Si le film est porté par la réalisation et par le duo d'actrices, il est soutenu par une bande originale discrete qui sait tout de meme se faire entendre au moments opportuns en soulignant, de façon parfois maladroites, les intentions ou en se contentant d'accompagner les images pour provoquer chez le spectateur certaines émotions.

"Martyrs" est de ces films qui tente de jouer des deux cotés d'une meme barriere... D'un coté c'est un film d'auteur, soigné et reflechi, il donne matiere a penser, matiere a l'introspection, matiere a l'analyse d'une societé ou la violence est de plus en plus banalisée... De l'autre coté, c'est un film d'horreur original qui mise sur une horreur plus palpable et plus contractuelle, un film d'horreur qui dérange car on n'ose pas le voir ni comme une oeuvre d'art a part entiere, ni comme un divertissement... Imaginez, si on se diverti de ça, alors peut etre sommes nous des monstres? Imaginez, si on admet que ça c'est de l'art, alors peut etre a-t-on des gouts et un sens artistique de détraqué..?
"Martyrs" n'est pas inutile, il n'est pas gratuit, il n'est pas misogyne... Il ne fait qu'utiliser un procédé classique au cinéma qui consiste à montrer, avec une certaine exageration, un fait d'actualité ou de societé pour mieux le critiquer...
"Starship Troopers" et "Full Metal Jacket" sont-ils des films de propagande pro-militaire?
"Baise-Moi" et "A Serbian Film" sont-ils des odes à la pornographie?
"Chopper" et "C'est Arrivé Pres de Chez Vous" sont-ils des invitations au meurtre en serie?
La violence plus suggestive de "Bully" ou "Funny Games" rend-elle le procedé plus efficace pour dénoncer la banalisation de la violence?
Ces films sont-ils 'inutiles' et 'gratuits'?

Vous voulez de la 'violence gratuite' ? Essayez plutot "Irreversible" de Gaspar Noé; "Guinea Pig" de Satoru Ogura ou sa suite, "Guinea Pig : Flowers of Flesh and Blood" de Hideshi Hino... Peut être qu'apres vous arriverez à voir "Martyrs" différemment...
DocteurKi
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le 1 août 2011

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DocteurKi

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