Le Martien ne connait pas la peur », c’est vrai, mais « le Martien aime la contradiction », c’est vrai aussi. Alors pour cette semaine dédiée à Halloween, une partie de la rédaction du Daily Mars va vous partager ses plus grands frissons cinématographiques. Cinq trouilles sur cinq jours (nous eûmes pu faire six, pour le jeu de mots de circonstance, mais nous aimons la contradiction, je vous l’ai dit. Faut suivre, hein). Aujourd'hui, c'est au tour de "il maestro" Gilles DaCosta, de nous confier un de ses frissons d'adolescence. En joie.

Certains moments de cinéma proches du trauma vous marquent tellement que vous êtes capable de vous souvenir très précisément de ce que vous faisiez à l’instant du choc. Fixés sur le négatif de votre mémoire sensorielle, ces épisodes de sidération cinématographique semblent consultables. Comme si vous pouviez revenir en arrière et les revivre à loisirs, réoccuper la place qui était la votre lors de la secousse originale. Mon premier visionnage de Massacre à la tronçonneuse fait indubitablement partie de ces instants figés. En 1992, j’avais déjà vu un bon paquet de films plus ou moins horrifiques loués en VHS dans mon videoclub de quartier. Ma soif de frisson était inextinguible et alimentée par le déferlement proprement hallucinant de titres édités en vidéo durant les années 80 et disponibles en rayon. Peu de détails filtraient alors concernant ces productions et il fallait souvent se fier aux illustrations des jaquettes, en règle générale beaucoup plus soignées que les films eux-mêmes.

Une de ces couvertures était si simple, si brutale qu’elle avait durablement marqué ma rétine. C’était l’illustration d’une cassette éditée par René Chateau, un film dont le nom outrancier représentait à lui seul un défi pour le jeune spectateur que j’étais : Massacre à la tronçonneuse. On y voyait au recto une main ensanglantée au premier plan et au second plan un monstre bouffi aux cheveux longs brandissant bien haut ladite tronçonneuse. En caractère gras était écrit “Après 5 ans d’interdiction”. Le film arborait ainsi clairement sa réputation sulfureuse, comme une provocation adressée à celui qui pensait avoir tout vu en matière de boucherie. Le procédé avait bien fonctionné sur moi et je passais fréquemment devant ce film sans oser le louer de peur que ce visuel qui tache tienne ses promesses racoleuses.

Et puis, durant une journée de l’été 1992, ma cousine est moi-même nous étions fixé l’objectif de voir en une seule journée les films les plus radicaux présents dans la vidéothèque bien fournie de mon oncle cinéphage. Parmi cette sélection de VHS se trouvaient des œuvres que je connaissais déjà comme l’Exorciste, Street Trash ou Maniac Cop. Mais nous avions gardé pour le bouquet final ce Massacre à la tronçonneuse que nous redoutions tant. Mes souvenirs sont clairs. La nuit est tombée depuis quelques temps, les lumières sont éteintes et je m'apprête à mordre dans une cuisse de poulet rôti lorsque ma cousine insère la cassette dans son énorme magnétoscope. Non rembobiné (un crime de lèse-majesté) le film est arrêté au moment où Pam vient d’être empalée par Leatherface sur un crochet de boucher.

Se rendant compte du spoiler titanesque, elle appuie sur stop mais il est trop tard. Je suis figé, foudroyé par ce que je viens de voir. Ma cuisse de poulet intacte dans la main, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, je suis en train de me demander ce que le reste film peut bien nous réserver étant donné la sauvagerie de ce que nous venons d'apercevoir. Même si aucun moment ne viendra finalement concurrencer cette éclat de violence durant les 84 minutes hystérique du film de Tobe Hooper, je ne serai pas déçu. Dés le début du métrage nous baignons dans une atmosphère redneck des plus poisseuses. Filmé en 16mm (chose que j’ignore à l’époque, bien entendu), Massacre à la tronçonneuse me surprend tout de suite par son image crado et son utilisation quasi exclusive de la caméra portée rendant l’expérience plus crue, plus viscérale. Ajoutez à cela une image vidéo endommagée par les visionnages successifs et vous obtenez un rendu étrange, amplifiant encore le coté glauque de cette production fauchée.

Dés les premières minutes du métrage, Tobe Hooper installe parfaitement son décor macabre. Lentement, patiemment, chaque élément est convenablement présenté de manière à dépeindre une sorte d’enfer rural, un no man's land poussiéreux qu’on imagine renfermer les pires aberrations de la nature évoluant à l'abri du regard inquisiteur de la civilisation lisse et bien pensante. Et puis survient la première apparition tétanisante de Leatherface. Une introduction tout bonnement géniale, d’une brutalité et d’une simplicité qui sied parfaitement à ce golem défiguré. Alors que Kirk est en train de visiter la maison du clan Sawyer lors d’une scène calme s'étirant en longueur et installant une belle tension, Leatherface vient rompre ce suspens en ouvrant bruyamment une porte métallique coulissante. Il frappe Kirk qui tombe au sol telle une masse morte et le traîne comme une carcasse partant pour l'équarrissage avant de refermer la lourde porte d’un mouvement brusque. L’agression est fugace, sèche, déstabilisante.

Le reste du film est à l’avenant de cette scène puissante. Peu d'esbroufe ou d’effets de manche inutiles réduisant l’impact des actes abjectes, une mise en scène dépouillée et factuelle, Massacre à la tronçonneuse me cloue au canapé de la première à la dernière minute. Je suis particulièrement affecté par la tentative de mise à mort foireuse de Sally par l’horrible "Grandpa" momifié lors d’une scène de dîner familial malsaine et totalement azimutée. Pour la première fois devant un film, j’éprouve ce sentiment terrifiant que tout peut arriver, qu’aucune aberration n’est à exclure. L’horreur dans toute sa splendeur. Finalement le film n’est pas aussi violent que sa réputation le laisse entendre mais il tire une grande force de son réalisme et de son approche brute de décoffrage.

De nos jours, et j’ai pu le vérifier l’année dernière lors d’une projection du film ayant eu lieu à l’occasion des 40 ans du magazine Mad Movies, le film de Tobe Hooper n’a plus la même emprise sur le jeune public. Abreuvés de films autrement plus radicaux que celui-ci et abordant chaque classique de l’épouvante avec un certain cynisme post-moderne assoiffé de second degré, ces nouveaux cinéphiles appréhendent ce chef-d’oeuvre avec un recul tout à fait compréhensible. Difficile alors pour eux de comprendre la terreur qui nous habitait à la vue de la silhouette massive de Leatherface courant après les donzelles apeurées, sa machine de mort pétaradante à la main. Au même titre que les Loups-Garous, monstre de Frankenstein ou Dracula de nos aînés, il est aujourd’hui un épouvantail désuet à la retraite, plus iconique que réellement terrifiant. Reste nos souvenirs angoissés, de vielles cassettes prenant la poussière et une cuisse de poulet en train de refroidir.

1974. États-Unis. Réalisé par Tobe Hooper. Avec Marilyn Burns, Gunnar Hansen, Edwin Neal, Allen Danziger, Paul A. Partain, Jim Siedow, Teri McMinn
GillesDaCosta
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le 16 janv. 2014

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Gilles Da Costa

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