Après la rhétorique malkovichienne (Dans la peau de John Malkovich) et l’auto-analyse kaufmanienne (Adaptation.), Spike Jonze célèbre à sa façon, inspirée et farfelue, l’un des plus grands classiques de la littérature de jeunesse américaine, Where the wild things are de Maurice Sendak. Bel album illustré racontant les (més)aventures de Max, petit garçon chahuteur s’échappant de sa chambre pour partir à la rencontre de créatures débonnaires, Max et les maximonstres (pour la traduction française) est un conte initiatique où, comme dans chaque histoire pour enfants, il est possible de se faire dévorer tout cru, d’explorer des contrées fabuleuses et lointaines, de croiser des monstres inquiétants, de connaître la peur ou la joie.

Jonze et son scénariste Dave Eggers ont dû, forcément, enrichir et extrapoler le court récit de Sendak (une trentaine de pages seulement) en développant, par exemple, le cadre familial de Max ou en "humanisant" les maximonstres dont les doutes et les frayeurs sont directement liés à l’imagination et à l’intégration de la réalité de Max (l’histoire des dents qui tombent, la crainte que le soleil ne meure). Il faut donc envisager cette œuvre malicieuse comme une superbe "trahison" plutôt qu’une fidèle adaptation, honnête mais sans surprise. Là où sont les choses sauvages, là où va Max sur une île étrange à travers la mer, il y a des monstres gentils, peuple dont le dépit et l’isolement d’être reflète l’état d’esprit de Max à cet instant, lui qui vient de se faire gronder par sa maman (il veut la manger, l’a mordu dans un accès de colère).

Le périple intérieur qu’il entreprend chez les maximonstres est un rêve éveillé, une catharsis par rapport au conflit maternel qui le pousse à s’évader et à accepter ses erreurs. Se réinventant sa propre famille (parce que se sentant délaissé par la sienne), Max, proclamé roi des maximonstres, décide de tout oublier en s’amusant comme un fou (se battre avec des boules de terre, faire la fête, construire un fort ou dormir empilés les uns sur les autres), puis réalise qu’être roi n’est pas aussi évident que ça. Il réalisera surtout qu’il faut savoir faire face à ses actes, aux autres et aux responsabilités que l’on peut avoir envers eux, à tout âge.

Et que l’on a tous besoin de quelqu’un à aimer, de quelqu’un qui nous guide et nous rassure, que ce soit un maximonstre un peu triste ou une maman qui attend avec une soupe chaude, un gâteau au chocolat et un verre de lait (la scène finale dans la cuisine est d’une bouleversante sobriété, sans parole ni sermon, seulement quelques regards, un peu d’espièglerie et beaucoup d’amour). Autant ému par la bouille de Max (surprenant Max Records) que par les trognes de Carol, KW ou Ira (le casting voix des maximonstres est somptueux : James Gandolfini, Paul Dano, Forest Whitaker ou encore Lauren Ambrose, la Claire Fischer de Six feet under), le spectateur se retrouve embarqué dans un voyage merveilleux dont la subtile et complexe poésie, jamais simpliste, n’a d’égal que la beauté esthétique.

D’un lyrisme insensé, les maximonstres (boules de poils hirsutes, licorne et autres animaux cabossés), attachants au possible, faits "à l’ancienne" (Dark crystal, Labyrinth…) sans presque pas d’effets spéciaux, magnifiés par des décors naturels grandioses et une jolie lumière aux tons d’automne, parviennent à stimuler notre imaginaire, à raviver nos souvenirs, nos fantaisies d’enfance, et à ravir sans cesse nos yeux par un spectacle déroutant, mélancolique et humble à la fois. Un drôle de film, un pur bonheur pour de grands enfants qui auraient peur encore du noir et de la solitude, et dont un cœur de brindilles vient soudain faire chavirer le leur à tout jamais.
mymp
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le 10 déc. 2012

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mymp

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