Tout commence par une musique douce, quelques accords de guitare, un pré-générique où un enfant turbulent s’est amusé à faire des palimpsestes farceurs sur les logos des grandes maisons de production américaines du film.
Puis le générique en lui-même commence, comme crayonné par le même enfant. C’est alors que la musique est arrêtée net, avec l’apparition d’un gamin en costume de loup, hurlant et chutant dans ses escaliers, à la poursuite d’un chien effrayé. Max débarque dans le film comme un ouragan. Il joue au loup au premier degré, comme seul un enfant peut jouer. Son loup est sauvage, acharné, et le chien est ballotté sur le tapis du salon, impuissant entre ses griffes.
Et l’image se fige, et le titre apparaît : Where the wild things are (le titre français, Max et les maximonstres, rend moins justice à cette habile superposition). Le ton est donné. Il ne s’agira pas ici d’édulcorer l’univers de l’enfance, mais bien d’en montrer toutes les facettes.
Car Max voit ses journées partagées entre la révolte et le rêve, l’espoir et la colère, l’extravagance et la tristesse. Il bâtit un igloo, mais s’énerve que sa sœur ne vienne pas l’admirer. Il frappe alors une clôture, comme s’il passait sévèrement des soldats en revue. Il se construit des cabanes de draps, mais ne comprend pas que sa mère ne l’y rejoigne pas, tout occupée qu’elle est avec son compagnon du moment. Max rêve son monde, et s’effraie du monde dans lequel il vit lorsqu’il apprend en classe que ce dernier est voué à disparaître, menacé de mille dangers. Souvent, il n’accepte pas. Et lorsque Max n’accepte pas, cela s’entend.
Ses émotions défilent à la vitesse d’une course d’enfant éperdu. Déçu par sa sœur qui le délaisse pour ses amis, il entreprend de saccager sa chambre en l’inondant de neige et en brisant ce qui lui est cher. Puis sa tendresse reparaît en trombe. Un des objets qu’il a détruits est un cœur contenant leurs deux prénoms, qu’il lui avait lui-même confectionné. Il s’apaise en réalisant cela, et tente de reconstituer l’objet, en silence. De même, il bascule du jeu innocent en jouant le loup à la morsure incontrôlée à l’épaule de sa mère en un clin d’œil. Ce dernier événement l’angoisse. Il ne se comprend pas. Manger sa mère ? C’était pour l’embêter ; pourquoi a-t-il vraiment mordu ?
Il fuit, à toutes jambes, dans la nuit.
Contrairement à l’œuvre éponyme de Maurice Sendak dont le film est l’adaptation, ce n’est pas la forêt onirique qui apparaît dans la chambre de Max jusqu’à la faire disparaître, c’est Max qui vient au rêve. Il court jusqu’à un lac. Silence.
Un bateau est là ? Max monte à bord, et le rivage s’éloigne, aussi simplement que ça.
Au cours d’une traversée évoquant le départ de Truman de son monde trop lisse dans le film The Truman Show de Peter Weir, Max affronte lui aussi la fureur des éléments. Profitant d’une accalmie, il baptise son esquif en gravant son nom dans le bois : Max, bien sûr.
Puis il voit la terre, et s’en approche. Il accoste, ou plutôt s’échoue sur l’île inconnue. Sans peur, il s’attaque à l’escalade d’une haute falaise, telle une épreuve de l’enfance qu’il accepte. Puis il se dirige vers des feux illuminant une forêt.
Les monstres sont là. Créatures de poil et de plumes, à bec, à crocs et à griffes, les bêtes sont occupées. Pour l’instant, elles le sont à détruire, emmenées dans cette entreprise par le perturbé Carol, qui ne pense qu’à raser ce qui fut leurs huttes. Max se mêle joyeusement au terrassement, et se fait vite accepter comme le roi de la bande. Au milieu des jeux et des grands projets, il découvrira que des dissensions parfois terribles menacent la petite communauté.

Spike Jonze est un bricoleur illuminé, à l’univers bancal et déjanté proche de celui du cinéaste français Michel Gondry, réalisateur d’Eternal Sunshine of the spotless mind et de La science des rêves. Qu’il soit acteur, dans des rôles de drogué ou bien dans celui d’un GI déjanté et épuisant affublé d’un bandeau de pirate sur l’œil dans Les Rois du désert de David O. Russell, ou réalisateur de films hors-norme comme l’hallucinatoire Dans la peau de John Malkovich, Spike Jonze n’est pas de ceux qui passent inaperçus. Et il fallait cette extravagance, ce décalage, et ces yeux de grand enfant pour faire du célèbre album un long-métrage.
Jouant à fond la carte de la lecture psychanalytique, Spike Jonze transforme le voyage sur l’île en un pur voyage initiatique, une introspection et une redécouverte de soi du héros. Parmi les innombrables lectures que l’on peut faire de l’œuvre originale de Sendak, on peut opter pour celle d’un voyage exutoire, où la fête abominable est un moyen de canaliser à grands cris l’énergie d’un rêveur surexcité frustrée par la punition. Il devient roi des démons (roi de ses démons ?), maître de tous les délires, avant de pouvoir espérer revenir chez lui.
Le film reprend allégrement la piste de l’exutoire à coup de bataille de mottes de terre, de destruction de bois et de bagarres désorganisées. Mais Max y découvre aussi un refuge à ses malaises, en trouvant des amis qui l’estiment et sont attentifs à tout ce qu’il fait ou projette (les monstres se lancent sans beaucoup de réserve dans la construction d’un immense fort, une forme sphérique et close présentant le cocon de sérénité que Max cherchait dans son igloo et sa cabane de draps). Seulement, il lui faudra aussi concilier les caractères forts et parfois opposés de la tribu pour maintenir l’harmonie et le bonheur dans leur communauté.

Petit à petit, habilement, l’on comprend que les monstres ne sont que différentes facettes du caractère de Max. Ainsi Carol représente son côté créatif débordant qui ne supporte pas d’être contrarié et préfère briser jusqu’à ses propres réalisations plutôt que de remettre en cause son comportement. Judith, bête à cornes, est une indécrottable suspicieuse n’hésitant pas à hausser la voix malgré des arguments teintés de mauvaise foi. Ou bien encore on peut voir dans l’énigmatique KW, monstre femelle en marge de la communauté, le désir et à la fois la crainte de liberté de Max. Ainsi KW se fait l’amie de deux chouettes que elle seule peut comprendre, tels les amis de la sœur de Max qu’il voudrait côtoyer mais dont il semble séparé par un fossé. KW devient alors une allégorie de la grande sœur, ou bien de la mère de l’enfant lorsqu’elle tente de ramener ses amis au repaire et que Carol ne les accepte pas, tout comme Max n’accepte pas les fréquentations amoureuses de sa mère.
Les mises en abîme entre la vie chez lui et la vie sur l’île se multiplient alors. Ainsi KW, sur laquelle s’est déjà projetée l’image de la mère, portera Max pour le protéger dans son ventre (littéralement).
Mais, avec une rigoureuse subtilité, Spike Jonze nous épargne une introspection trop apparente de son jeune héros. Se rend-il lui-même compte des parallèles entre les deux univers ? En joue-t-il pour mieux se comprendre ? Cherche-t-il à se dominer lui-même lorsque, face à une colère destructrice de Carol, il reprend à son encontre les mots que sa mère a lancés après que Max l’eut mordue (« Tu es ingérable ! ») ? Aucune réponse n’est clairement donnée, et c’est le tour de force d’un réalisateur qui a avant tout imposé un univers et un délire ainsi que des niveaux de lecture en cascade, plutôt qu’une fable tissée avec exactitude et moralisme. Certes, les producteurs attendaient un objet plus conventionnel et calibré comme d’autres grosses machineries hollywoodiennes destinées aux enfants. Mais c’eût été trahir le livre de base et son esprit libre de tout compromis, qui en son temps dut affronter lui aussi des avis tranchés.
Le film est bercé par une musique dans la droite lignée de celle du cinéma indépendant américain (des BO de Juno à celle de I love Huckabees, en passant par la musique de Little miss Sunshine), faite d’accords de guitare acoustique, des résonances du Celesta sur une nappe d’orgue planant. Ces compositions sont entrecoupées de chansons Pop envoûtantes ou entraînantes, un véritable univers en soi, férocement moderne et tendre.
Si l’on ne s’attarde pas sur des rares baisses de rythme qui fragilisent le milieu du film, ou sur la glissade (contrôlée) d’un happy-end vers une embrassade conventionnelle (la subtilité des rapports et des images reprend vite son bon droit), Max et les maximonstres est un film réussi qui prend des risques, et qui se dote d’une originalité réjouissante.
De véritables moments de cinéma sont immortalisés : une maquette de montagnes et de cours d’eau filmée à hauteur de figurine, la silhouette inquiétante et récurrente d’une bête taciturne et insondable, ou bien un rassemblement de dos monstrueux, face au soleil s’échappant des mers, en haut d’une falaise. Et puis, aussi, cette question que l’on peut se poser : lorsque les mots ne suffisent pas pour se dire au revoir, pourquoi ne pas crier au vent comme des loups ?
Oneiro
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le 24 nov. 2013

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