I grow up to be a straight up menace, gyeaaaaah
1992. Le ghetto de South Central à Los Angeles, Californie. La vie tente de reprendre lentement son cours après les émeutes sanglantes qui firent suite à l'acquittement des policiers dans l'affaire Rodney King. Période troublée donc, où le radicalisme pro-black côtoie allégrement le deal de dope et les drive bys et où l'argent facile prend le pas sur l'éducation.

Caine (Tyrin Turner) a grandi à South Central toute sa vie, élevé tout d'abord par un père dealer (Samuel L. Jackson) qui ne lui aura appris que la violence et à couper la dope et une mère trop camée pour s'occuper de lui. A la mort du premier et après l'internement en HP de la seconde, il est recueilli par ses grands parents et pris sous l'aile de Pernell, un truand qui lui apprendra à se débrouiller dans la rue.
A l'âge où on commence à s'interroger sur son avenir, Kaydee (comme le surnomment ses amis) se cherche encore, hésite entre la stabilité que lui propose Ronnie (Jada Pinket) la petite amie de Pernell (qui a été condamné à la perpétuité) et s'enfoncer dans la spirale de violence dont son pote O'Dog est à l'origine. L'été de ses 18 ans sera décisif.

Black and lost...
Au-delà de la simple fiction, Menace II Society s'avère être le portrait d'une jeunesse noire américaine laissée pour compte et autodestructrice au début des années 90. Contrairement à l'idée générale, le film des frères Hugues n'est pas un film sur les gangs. Pas de Blues, pas de Reds, pas de rite initiatique, pas de guerre de territoire, pas de haine viscérale pour l'autre camp, il n'est ici question de que de fierté, de petits business et de loi du talion.
C'est peut être là une des forces du film, ne pas stigmatiser la violence des quartiers noirs à l'unique existence des gangs mais bien montrer qu'elle est devenue une partie intégrante de toute une frange de la jeunesse noire de ces quartiers de LA.
De fait, le personnage incarné par Tyrin Turner vacille sur la corde tendue par les deux extrêmes que sont O'Dog ("America's nightmare... young, black and didn't give a fuck") et Shariff l'ex-membre de gang repenti qui a rencontré l'Islam. Après la mort de son cousin, Kaydee choisira-t-il de fuir le ghetto dont il sait qu'il ne lui apportera que la prison dans le meilleur des cas ou bien décidera-t-il de prendre son destin en main pour devenir un homme à part entière ?

Le tableau dressé par les frères Hugues est très sombre, et c'est là la critique la plus récurrente de la communauté noire américaine envers Menace II Society : Caine aura beau faire, il sera finalement rattrapé par son destin, par la violence dont il aura pu faire preuve. Constat bien sombre que celui de la prédestination ou au moins du mimétisme. Symptomatique de cette position, les scènes de passage d'une arme à feu d'une génération à l'autre (entre Pernell et Kaydee d'abord puis entre Kaydee et le fils de Ronnie). Certes, il y a à chaque fois une tentative d'opposition mais soit elle s'avère inefficace (la mère de Caine), soit on en ignore l'issu (qu'adviendra-t-il du fils de Ronnie à l'avenir ?).

Acting like a fool ?
Point de vue acteurs, Tyrin Turner (qui dut remplacer Tupac Shakur après que ce dernier et Allan Hugues en soient venus aux mains) s'en sort plutôt bien. En tout cas, nettement mieux que la plupart de ses partenaires à l'écran qui malheureusement en font parfois un peu "too much". Mais on pardonne à Larenz Tate de trop agiter ses bras pour se donner de la contenance, à MC Eiht de trop jouer de son regard de bad boy et à Jada Pinket d'avoir de gros sourcils. Cela fait partie du charme du film et chacun compense un peu ses lacunes comme il peut : O'Dog est délirant en inconscient nihiliste épicurien, MC Eiht en impose en gangsta laid back mais fâché et Jada, malgré ses sourcils, conserve quand même son charme.

An eye on the ghetto...
Malgré les nombreuses attaques formulées contre lui (parmi lesquelles celle d'en faire trop dans la violence), le film des frères Hugues aura tout de même eu le mérite de mettre le doigt sur certains maux de la société américaine, de façon moins balourde que le trop mièvre "Boyz 'N The Hood" de John Singleton. Dislocation de la cellule familiale, échec de l'éducation par le système scolaire, confusion morale sont abordés avec plus ou moins de profondeur et de violence (et de réussite).

C'est grâce à cette violence, cette brutalité dans le propos pourtant contrebalancées par les environnements chatoyants et le soleil californiens, que "Menace II Society" est devenu un classique du cinéma des années 90. La réalisation a la bonne idée d'être sobre et d'éviter trop d'artifices, s'autorisant néanmoins à jouer avec les couleurs pour donner au film une touche personnelle plutôt réussie (l'alliance de jaune/blanc/vert des scènes en extérieur, le rouge de l'interrogatoire de Caine, le bleu de la soirée chez Ronnie...).

On retrouve bien évidemment toute l'imagerie d'Epinal des ghettos californiens : Dickies, Chuck Taylors, Nike Cortez, chemises de bûcheron, lowriders, jeux de dés, crack-heads, funk, palmiers, etc... Paradoxalement, la fascination s'exerce malgré la pauvreté et la violence du contexte.

Funk upon a rhyme...
Pour ne rien gâcher, les frères Hugues ont offert à leur film un B.O. de qualité dont certains titres font aujourd'hui partie des classiques du genre. En tête, le "Streiht Up Menace" de MC Eiht qui, de sa voix posée et profonde, nous conte l'histoire de Kaydee sur un fond de piano/violon élégant. On retiendra également l'excellent "All Over A Ho" de Mz. Kilo sur une production hypnotique et rageuse de Cold 187um ou le très bon "Nigga/Trigga Gots No Heart" de Spice-1.
Le reste navigue entre rap sur gros samples de funk (Ant Banks, Too $hort, Da Lench Mob, DJ Quik), r&b feutré (Kenya Gruv, Hi-Five), tracks jazzy-funk (Smooth, Brand Nubian) et titres rentre-dedans (Boogie Down Productions, Cutthroats). On regrettera toutefois de ne pas retrouver l'instrumental du légendaire "Ghetto bird" d'Ice Cube qui sert d'introduction au film ainsi que l'absence de Saafir, pourtant bien présent dans le film en tant qu'acteur (Harold, le cousin de Caine).

Depuis Menace II Society, les films réussis sur le ghetto californien ne sont pas légion malgré la manne incroyable de films du genre. En général, on a affaire avec à des films aux scénarios bâclés confinant au ridicule et des acteurs qui n'en ont que nom. C'est peut être aussi en partie grâce à ça que Menace II Society a su traverser la dernière décennie sans encombre et sans prendre de rides. Il serait donc temps qu'un autre film prenne la relève, d'autant qu'un vrai film sur les gangs angelinos reste encore à faire.
NicoBax
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le 1 nov. 2010

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NicoBax

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