En 1993, Menace II Society est le premier film des frères Hughes, Albert et Allen. Ils vont nous plonger dans le quartier de Watts à Los Angeles, tristement célèbre pour les émeutes de 1965, avant que l'histoire se répète en 1992. Un taux de chômage élevé, les violences policières et le verdict lors du procès de Rodney King avait mis le feu à une situation déjà explosive.


C'est dans ce contexte que l'on va suivre Cain (Tyrin Turner) et ses amis O-Dog (Larenz Tate), Sharif (Vonte Sweet) et Stacy (Ryan Williams). Ce sont quatre jeunes hommes noirs aux caractères et rêves différents. Cain nous conte son histoire en voix off, de son enfance au sein d'une famille où la violence et la drogue étaient omniprésente, jusqu'à nos jours avec un été s'annonçant très long.


Revoir pour la énième fois Menace II Society, c'est aussi une manière de se replonger dans mon adolescence et de me rendre compte de l'influence du film sur mon esprit. J'ai adopté la plupart des attitudes de Cain (Tyrin Turner), mais surtout mon regard a changé sur la belle et glorieuse Amérique. Le cinéma de Spike Lee avait déjà commencé à casser son image avec son classique Do The Right Thing, puis Jungle Fever. Avant que Boyz'N'The Hood puis New Jack City, enfoncent le clou.


Menace II Society est la version hardcore de Do The Right Thing. Alors que le film de Spike Lee nous faisait aussi découvrir la vie d'un quartier. en l’occurrence celui de Brooklyn, avant que la situation s'embrase sur fond de conflit racial. Celui des frères Hugues démarre dans le sang, au détour d'une réflexion anodine. C'est cela le quotidien de Watts, la mort peut frapper à tout moment pour un mot, un regard, une bousculade, etc.....


Cain (Tyrin Turner) côtoie constamment la mort, tout comme les autres habitants de Watts. Il vient de finir ses études et ne sait pas quoi faire de sa vie, mais surtout il ne sait pas s'il a envie de vivre. Cette génération vit comme si chaque jour était le dernier, elle se contente de survivre en attendant que la mort les frappe. O-Dog (Larenz Tate) est la figure la plus emblématique du groupe, c'est le cauchemar américain : jeune, noir et qui en a rien à foutre. Il n'a ni conscience, ni empathie, pour lui la violence est normale. Il faut dire que la plupart ont grandi sans figure paternelle, livrer à eux-mêmes. Les autres ont été nourri par cette violence, elle coule dans leur sang et semble inéluctable. Elle se transmet d'une génération à une autre et rien ne semble pouvoir y mettre fin, à moins de quitter ce lieu sans avenir.


Partir ou mourir. Cain se retrouve devant un choix qui semble facile à faire. Mais quand on a toujours vécu au même endroit sans n'avoir connu autre chose, ce n'est pas si évident de tout quitter. Ronnie (Jada Pinkett) est sa lumière dans la noirceur de sa vie. Mais l'histoire semble vouloir se répéter, comme si elle était déjà écrite en lettres de sang sur le bitume des rues de Watts. Chaque acte a une conséquence et le retour de flamme sera violent. Ce n'est pas du Walt Disney, mais le reflet d'une triste réalité où le happy end est utopique. Mr Butler (Charles S. Dutton) va énoncer cette vérité à son fils Sharif et Caine : être noir en Amérique n'est pas facile, la chasse est ouverte et tu es la proie. Une affirmation qui se vérifie jour après jour, comme on a pu malheureusement le constater avec les morts récentes d'Alton Sterling et Philando Castile.


C'est un éternel recommencement. On a l'impression qu'ils sont dans un immense piège où la police, mais aussi les gangsters attendent le moindre faux pas pour fondre sur eux. L'épée de Damoclès est constamment au-dessus de leurs têtes et les frères Hugues montrent bien cet état de fait. Ils racontent de nombreuses situations pour bien nous faire comprendre ce qu'il se passe dans cet enfer sur terre. On va côtoyer tout types de personnes, des dealers, arnaqueurs, flics violents, en passant par la mère célibataire faisant tout pour avoir un meilleur avenir, au grand-père répandant la parole de dieu en espérant avoir une influence positive sur son petit-fils. Cette galerie de personnage est saisissante de vérité et parfaitement mis en scène, sans que la violence et la misère soit sublimer. On passe d'un plan séquence démarrant d'une rue à une cour, en traversant une maison où la musique funk enchante certains, alors que d'autres sont sous l'effet de la drogue avec les yeux dans le vide où se lancent dans des jeux d'argent. Avant qu'on se retrouve dans une ruelle sombre où la mort va à nouveau frapper, détruisant la joie de cette bande d'amis. Les sourires sont éphémères, mais les blessures sont éternelles.


Le film n'a pas vieilli, ni dans son indéniable qualité visuelle et encore moins pour son sujet et la violence de son propos. Il fait parti de mes classiques, un incontournable que je conseille à tout le monde. Tyrin Turner et Larenz Tate sont impeccables et comme les frères Hugues, ils ne feront jamais mieux. Pour un premier essai, c'est un coup de maître.

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le 14 juil. 2016

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Laurent Doe

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