Ce qui frappe dans le cinéma de Moretti, c'est sa capacité à (presque) toujours atteindre un équilibre parfait entre l'autofiction et l'universel, entre un humour acerbe et une forme de tendresse. Mia madre trouve ici parfaitement sa place dans la filmographie du Maestro, tout en s'imposant comme un film à part dans une filmographie déjà incroyablement riche.
En choisissant de revenir à l'auto-fiction qu'il avait exploré de long en large dans Aprile et Journal Intime, Nanni Moretti aurait pu facilement tomber dans le piège d'une forme de narration un peu paresseuse et qu'il a contribué à populariser. Seulement, voilà, dans Mia Madre, le rôle de Nanni Moretti personnage-réalisateur n'est pas joué par Moretti acteur, mais par une femme (Margherita Buy), tandis que le réalisateur-acteur se projette dans le personnage de Giovanni (son nom de naissance), fils idéal qu'il aurait peut être souhaité être à la mort de sa mère. Ainsi se crée une mise en abyme fascinante de la question du regard: celui de Margherita et de ses rêves, celui de Moretti-acteur et enfin le regard implicite du réalisateur.
En ce sens, il semble évident de rapprocher Mia Madre de La chambre du Fils, où Moretti s'intéressait déjà à la thématique du deuil, mais avec un recul bien plus important grâce au caractère fictionnel de l'oeuvre. Ici, Moretti traite d'une expérience personnelle traumatique à laquelle il ne semble toujours pas avoir trouvé de réponse. Ainsi, là où le style de Michael Haneke faisait d'Amour une oeuvre profondément dérangeante (et par ailleurs relativement méprisable), la tendresse de Moretti pour ses personnages imparfaits (et ainsi, pour lui-même?) fait de Mia Madre une chronique bouleversante d'un deuil annoncé.
Mais Mia Madre ne sombre pour autant jamais dans le nombrilisme, ou le voyeurisme, mais parvient au contraire à toucher par sa dimension universelle dans sa capacité à capturer des instants infimes mais lourds de sens: une étreinte, un regard (ce plan final putain)... il serait facile en traitant d'un sujet pareil de sombrer dans le misérabilisme ou l'obsession morbide (coucou Chronic), mais dans la description des rapports de Margherita avec sa fille ou un acteur américain dépressif, Moretti replace la tragédie personnelle dans une vie plus large, et donne un sens au bouleversant au dernier dialogue montré à l'écran entre Margherita et sa mère:
"À quoi tu pense?
-À demain"
PS: l'absence absolue d'un des rares films majeurs de cette décennie au palmarès du dernier palmarès cannois est passablement déplorable au vu de la qualité des films primés (coucou Dheepan)