Critique : Michael Kohlhaas (par Cineshow.fr)

Injustement passé inaperçu lors du dernier Festival de Cannes, Michael Kohlhaas du cinéaste français Arnaud des Pallières est depuis mercredi dernier visible dans nos salles françaises. Un pari osé pour cet artiste qui ne nous avait jamais réellement convaincu par ses œuvres passées (Disneyland, mon vieux pays natal, Adieu ou Parc) mais semble avoir trouvé dans le texte d'Heinrich Von Kleist qu’il adapte librement un propos à la hauteur de ses ambitions. Récit emblématique de la littérature allemande écrit en 1808, Michael Kohlhaas est transposé à un cadre Français et foncièrement retravaillé pour conserver l’essence du propos, quitte à supprimer de nombreuses thématiques abordées par l’écrivain. Des Pallières souhaite ici non pas proposer un essai philosophique mais simplement poser une question relativement simple, ou fondamentale, au choix : La justice des institutions vaut-elle mieux que la justice sociale ?

Une question essentielle et légitimement récurrente dans l’histoire du monde que Des Pallières va matérialiser par le parcours d’un homme. Issu de la classe moyenne médiévale, Michael Kohlhaas est un maquignon se rendant au marché pour y vendre ses bêtes. Arrêté par les gens d’un hobereau dont il traverse les terres, celui-ci est sommé de présenter son autorisation de passage pourtant non nécessaire. En guise de bonne foi, il décide de laisser deux de ses chevaux et son valet le temps le temps du voyage. A son retour et disposant de la confirmation que l’autorisation de passage était caduque, Kohlhaas découvre ses deux chevaux fatigués et mal nourris, tandis que son valet témoignait des sévices subis. Malgré son recours à la justice, le maquignon est débouté de ses plaintes en raison d’un fort appui du hobereau au plus haut de l’état. Plus tard, sa femme perdra même la vie lors d’une dernière demande de justice. Une situation éminemment injuste du point de vue de l’individu que Kohlhaas n’acceptera pas, lui vivant dans le respect de l’autre, le respect des biens et surtout, vivant dans un cadre très strict de la notion de justice. Une notion fondamentale à tout récit médiéval qu’il soit littéraire ou cinématographique, et qui se voit ici traiter avec une certaine radicalité, de par la volonté sans faille et la rage du personnage principal. Décidé à obtenir réparation quel qu’en soit le prix à payer, le maquignon après avoir mis ses enfants en sécurité va monter une armée populaire, à la fois pour réclamer un traitement juste de son cas personnel, mais également mettre au grand jour la gangrène pourrissant l’institution. C’est au travers de ce périple que le film de Des Pallières prend tout son sens. L’obsession mentale de Kohlhaas est constamment confrontée aux différents personnages qu’il rencontre sans qu’aucun artifice ne vienne diminuer la puissance du discours.

Le réalisateur choisi un traitement volontairement très épuré tout en étant très strict, une adéquation de la forme pour mieux sublimer le fond cohérente de bout en bout, et qui permet à Des Pallières de proposer une oeuvre atypique mais relativement majestueuse. Les images en extérieur parmi les plus belles filmées cette année conjuguent les quatre éléments fondamentaux pour des rendus aux contrastes sidérants, un travail d’orfèvre pour obtenir LA bonne image, LE bon plan, celui qui sonnera le mieux avec telle portion d’ombre et telle couleur de rendu. L’ouverture du film est à ce titre particulièrement enivrante tant elle emporte en quelques secondes dans cet univers aride et pourtant si magnétique. Grâce à Mads Mikkelsen qui sans grande surprise habite littéralement le rôle (notez que Michael Kohlhaas fut tourné avant la Chasse, sorti un an plus tôt et qui permit à l’acteur d’obtenir le prix d’interprétation à Cannes 2012), le film de Des Pallières véhicule cette rage animale, ce besoin de justice qui se traduit dans les moindres mouvements de l’acteur et dans son regard perçant. A bien des égards, sa performance n’est pas si éloignée de celle du Guerrier Silencieux de Nicolas Winding Refn, même si l’acteur Danois dispose d’une palette de jeu suffisamment grande pour ne pas tomber dans une simple prestation copiée-collée. La recherche d'absolu du propos allié à un besoin d’habitation total vis-à-vis du rôle font de Michael Kohlhaas un personnage particulièrement complexe à jouer, défi que Mikkelsen relève haut la main. L’acteur parvient à traduire par un simple regard tous les bouleversements auxquels son personnage est confronté et la nécessité d’aller au bout de ce parcours, quitte à y laisser la vie sur l’hôtel de la justice avec un grand J.

Foncièrement peu aimable de par le refus de se plier aux canons éculés du genre, jusqu’au boutiste dans le fond et dans la forme, le film d’Arnaud des Pallières est pour toutes ces raisons un objet tout à fait intéressant porté par un acteur décidément au-dessus du lot. Cette non-facilité d’accès aura été surement d’ailleurs l’une des raisons du peu d’enthousiasme suscité à Cannes cette année, mais elle n’en demeure pas moins une nécessité pour aborder frontalement la substantifique moelle du récit de Kleist. Cette recherche perpétuelle de la juste cause couplée à cette quête de pureté et d’absolu conduiront Kohlhaas dans les retranchements les plus extrêmes du fanatisme, permettant ainsi de confronter son propos et d'alimenter la réflexion autour de la question précédemment évoquée. Et quand bien même le côté romanesque et de nombreux rebondissements aient été délaissés par le réalisateur, ce n’est que pour renforcer le propos du film et l’obsession morale du personnage qui demeure plus que jamais universelle et intemporelle. Dommage que le dernier tiers du long-métrage ne s’étende plus que de raison, nul doute que l’efficacité du récit aurait été accrue avec encore 20 minutes de moins. Heureusement, l’image de conclusion est bouleversante, un final sans espoir et d’une incroyable ironie qui se traduit dans le regard meurtri de Kohlhaas, et suffit à lui seul à comprendre pourquoi le récit de l’auteur Allemand était l’un des préférés de Franz Kafka.
mcrucq
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le 18 août 2013

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Mathieu  CRUCQ

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