Critique : Django Unchained (par Cineshow.fr)

Il aura fallu presque 20 ans à Quentin Tarantino pour réaliser son western, celui qui hante l’ensemble de sa carrière, et celui qu’il évoque de manière subliminale dans chacun de ses films. Après avoir opéré un virage marquant dans son cinéma avec Inglorious Basterds, lequel se déroulait durant un évènement historique, il trouve dans l’époque pré-guerre de sécession le théâtre à sa nouvelle histoire. Un cadre idéal pour aborder une question qui lui tient à cœur, celle de l’esclavage et de la traite des noirs, le tout dans un écrin héritier des westerns spaghetti d’antant. En résulte l’une de ses œuvres les plus jubilatoires à ce jour, l’une des plus denses (presque 3h) mais surtout l’une des plus abouties, convoquant le meilleur de son cinéma pour un sujet profondément humaniste et surtout, un hommage et une nouvelle déclaration d’amour au 7e art .

Depuis Boulevard de la Mort et plus récemment Inglorious, l’enfant terrible de Knoxville remplace ses constructions puzzle par des fondations plus linéaires, certains diront plus sages. Un cinéma devenant sans doute plus classique dans la forme ou tout du moins, moins marqué, mais qui n’atténue en rien la puissance formelle de l’œuvre et surtout, qui n’altère absolument pas la Tarantino’s touch reconnaissable parmi mille. Certes, le réalisateur ne manque pas d’apporter ses pépites musicales qui ont aidé à rendre culte sa filmographie, ou bien d’ajouter des titrages énormes pour signaler une ellipse narrative mais de manière générale, ce Django encore plus que ses dernières réalisations se déguste comme une histoire classique, empruntant tantôt aux thématiques vengeresses des westerns d’origine méditerranéenne pour les croiser avec l’ampleur des monuments Américains. Un mélange des genres pour en extraire le meilleur et aller bien au-delà du simple clin d’œil ou de la citation sympathique, mais bien proposer une expérience totalement inédite et moderne marchant sur les traces de ses aînées pour mieux les dépasser. Car il ne faudra guère plus de 10 minutes pour comprendre que Tarantino s’est réapproprié l’ensemble des codes du genre après les avoir parfaitement digérés, pour proposer un film dans la plus pure tradition et la plus grande logique de son œuvre.

D’ailleurs, si le titre du film et le nom du personnage central évoquent évidemment le Django de Sergio Corbucci datant de 1966, ce n’est que pour mieux amener la référence à cette grande époque du cinéma, le reste de l’histoire n’ayant strictement rien à voir. En quelques instants, Tarantino nous happe littéralement dans cet univers et pose de manière ultra efficace l’ensemble des éléments dramatiques moteurs de son intrigue, depuis la question de l’esclavage jusqu’à celle de la vengeance personnelle pour retrouver une liberté et un amour perdu. Et si les cabotinages de Christoph Waltz peuvent sonner comme un léger air de déjà vu dans les premières minutes, ce n’est que pour mieux surprendre le spectateur et souligner l’érudition du personnage, un ancien docteur Allemand reconverti en chasseur de primes, par lequel Tarantino s’autorisera un point de vue d’étranger sur les mentalités de l’époque. Une astuce absolument géniale qui permet sans jamais de tomber dans l’archétype gentils VS méchants de faire un simple constat sur une situation improbable étant été légion pendant de très nombreuses années aux USA. Une astuce qui permet également à ce personnage particulièrement pragmatique de libérer un esclave puis de s’adjoindre ses services pour retrouver 3 frères dont les têtes furent mis à prix. Et cette situation qui arrive très tôt dans le récit marque le début d’une aventure aussi meurtrière que jouissive dont la relation d’amitié voire de fraternité entre les deux hommes sera l’argument principal.

Durant près d’une heure, nous accompagnons au fil de leurs chasses à hommes le docteur Allemand et son bien nommé « valet » Django . Une sorte de road movie à cheval d’états en états à la recherche de tous les bandits recherchés justifiant de nombreux arrêts dans les villages paumés du fin fond de l’Amérique et autres demeures bourgeoises. Un patchwork de décors pour des dizaines de rencontres, des conditions idéales pour mettre en avant ce que Tarantino sait faire de mieux, l’alimentation en dialogues savoureux précédents souvent une issue fatale. Une nouvelle fois, Django Unchained fonctionne à plein régime et contient son lot de scènes dialoguées passant avec une simplicité déconcertante de l’enjeu totalement futile visant à faire la blague, à une réflexion de fond sur les démons de l’Amérique. Tarantino croit dans son histoire et la mène tambour battant, n’hésitant jamais à aborder frontalement la problématique de l’esclavage toujours avec lucidité, et à passer lors de la séquence d’après à une grosse blague comme l’attaque de ce qui peut être vu comme le balbutiement du Ku Klux Klan. Lui qui n’hésitait jamais avec les vannes sur les « niggers » dans ses précédents films clouera le bec à tous ses détracteur en offrant l’un des plus beaux plaidoyers pour l’égalité des hommes. Et il ne fallait pas moins que ça pour aborder la seconde partie du film, radicalement différente de la première tout en étant parfaitement homogène, et introduisant le personnage de celui qui symbolisera le bad-guy du film, Calvin Candie alias Leo DiCaprio.

Et l’homme qui à l’instar de Brad Pitt ne souhaite plus tourner qu’avec des réalisateurs chevronnés montre une nouvelle au monde entier qu’il est sans doute le meilleur acteur de ces dernières années. Son interprétation de l’aristocrate dandy à la passion morbide pour le combat d’esclaves jusqu’à la mort est à glacer le sang, passant sans sourciller du sourire sympathique à la folie la plus totale. Véritable personnage principal de cette seconde partie, il occupe l’espace sans le vampiriser et offre à Christophe Waltz et Jamie Foxx une vraie figure d’opposition. Ce nouvel arrivant dans l’histoire apporte au film une tension et un malaise non ressentis jusqu’à présent, élevant les enjeux à des niveaux dramatiques toujours plus forts sans jamais relâcher la pression. Fonctionnant comme une cocotte-minute dont l’on sait que l’issue sera fatale, cette longue séquence de près d’une heure quinze permet également l’arrivée d’un quatrième personnage essentiel, celui interprété par l’incroyable Samuel L. Jackson, qui matérialise la parfaite compréhension de Tarantino sur le sujet de l’opposition blancs contre noirs et son refus du manichéisme. Plus horrible et perfide que DiCaprio lui-même, cet homme synthétise l’ensemble des maux de la communauté noire en devenant le pire des tortionnaires vis-à-vis des esclaves du domaine de Candie. Un noir devenu blanc en quelque sorte.

Django Unchained évite tous les pièges tendus par ce type de projet, innove en permanence tout en rendant hommage le temps de quelques plans au cinéma qu’il admire tant. Des silhouettes à cheval qui s’éloignent face au soleil couchant, des gunfights main sur le chien façon Eastwood, des fameuses entrées plein cadre de nos cowboys dans les saloons, autant de passages obligés pour invoquer l’étiquette du western digne de ce nom. Et pourtant Django est tellement beaucoup plus que cela. Récit totalement pulp animé par la rage et la vengeance, cette dernière réalisation délivre son lot de séquences artistiques sanguinolentes dont Tarantino maîtrise toute la grammaire. Et c’est bien ce terme qui transpire du film, une maîtrise totale dans l’ensemble des sujets qu’il aborde ou évoque. Toujours fin, ne tombant jamais dans le cliché, son film semble réellement être un condensé de son talent dépouillé de toute figure gratuite ou mégalomane (comme pouvait l’être à certains moments Inglorious Basterds).

C’est insolent dans la perfection du cadrage et du découpage, dans le rythme toujours crescendo et dans cette jauge toujours en équilibre entre le sérieux et la blague. La multiplication des personnages n’est jamais gratuite, contribue à l’avancement dans l’histoire et apporte systématiquement son lot d’enjeux nécessaires à la narration. Aidé par une brochette d’acteurs tous meilleurs les uns que les autres mais ne se marchant jamais sur les pieds, de nouveau film de Tarantino s’inscrit directement au panthéon de ses œuvres les plus fortes, les plus mûres quitte à ce qu’elle devienne avec le temps la plus grande, tout simplement. Le réalisateur semble en avoir définitivement terminé avec ses découpages temporellement déstructurés et tend maintenant vers une forme de classicisme qui lui va à ravir. L’inspiration de Sergio Leone est clairement présente, de surcroît appuyée par la musique d’Ennio Morricone, et l’ampleur de son cinéma semble maintenant converger vers ce type de réalisations. Tarantino auscultera de nouveau l’amérique à travers son regard sans faille, et de dire que nous attendons sa prochaine réalisation avec une impatience démesurée serait franchement un pléonasme.
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le 19 déc. 2012

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Mathieu  CRUCQ

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