Midnight Special : voir, c'est croire...

Un comics est parcouru à la lampe torche par un jeune garçon sous un drap blanc… Image mythique de l’enfance dans le cinéma américain, où l’insatiable curiosité, voire même la croyance profonde en l’existence des super héros dessinés prend le pas sur la réalité et ses angoisses. A l’heure où le monde contemporain s’enfonce dans le radicalisme des croyances d’un côté et le fanatisme des sagas cinématographiques manichéennes et sans caractère de l’autre, la foi, cette belle idée qui vous permet de dire « j’y crois », est mise à dure épreuve.


Midnight Special s’impose contre ces deux fléaux de manière étonnamment simultanée : retiré de l’emprise d’une secte religieuse, un enfant que le soleil blesse et aux pouvoirs inexpliqués, est emmené par son père, Roy, l’imposant et mystérieux Michael Shannon. Peu de choses nous sont explicitées : l’origine des personnages ou de ce fameux Ranch, les résolutions de ce père sauvant son enfant, nous sont inconnues. Rien n’est d’ailleurs moins sûr que les bonnes intentions de cet homme, présenté comme kidnappeur à la télévision. Mais l’assurance de Roy nous guide, la confiance du jeune Alton Meyer (Jaeden Lieberher) en son père nous rassure. Et pourtant, c’est un film sombre, un road trip noctambule, on fonce dans l’obscurité la plus totale, à l’image de la voiture conduite avec des lunettes de vision nocturne, comme une prédiction de cette course cinématographique. Seuls les phares des voitures éclairent la route sur laquelle Jeff Nichols nous emmène.


Ce sont ces incertitudes qui nous accrochent à la caméra de Jeff Nichols. Si ce père est mauvais, si ce fils, convoité aussi par le FBI, est dangereux, tout est possible au début de Midnight Special. « Pour eux, tu es une arme » confesse Adam Driver, scientifique de la NSA, au petit et étrange Alton. « Pour le Ranch, tu es le sauveur »… Qui est cet enfant ? Lui-même l’ignore, lui-même souffre de cette différence, de cette brûlure qui le torture de l’intérieur dès qu’il croise un rayon de soleil. Tel un Superman encore novice (dont le garçon découvre le comics pendant le voyage) qui ne comprend que l’étrangeté de sa force destructrice, Alton se cherche tout au long de l’aventure. Mais Roy Meyer semble croire en la destinée de son fils et la seule chose dont nous sommes sûrs est l’amour qui lie cet homme à son enfant.


L’histoire et l’esthétique de Jeff Nichols (et le superbe travail de photographie d’Adam Stone) se nouent en une même tension que seule la foi en la lumière qui transcende le faible Alton peut résoudre. Cette quête d’identité, nous la suivons aux côtés de Lucas (Joel Edgerton), flic et ancien ami de Michael Shannon venu l’aider aveuglément à l’appel de ce dernier, qui vit impuissant et inquiet cette traversée des Etats-Unis. A l’image de ce personnage étranger à l’histoire de la famille Meyer, le spectateur est emporté dans l’élan du film. Pour Roy et sa femme Sarah (Kirsten Dunst, qu’on est heureux de voir sous l’objectif de Nichols), pas le temps de tout expliquer à Lucas, il croira le moment venu. Pour Jeff Nichols, c’est surtout un jeu sur les conventions et le regard des spectateurs habitués au fantastique et aux super héros. Avec finesse et audace, le réalisateur américain embrasse ce nouvel univers avec la même sensibilité que face au personnage paranoïaque de Michael Shannon dans Take Shelter (2012). Grâce à une habile maîtrise de l’énigmatique, il nous mène dans les contrées inconnues de l’esprit de ses personnages et nous fait concevoir leurs réalités, leurs paranoïas ou leurs convictions. Et ainsi que la foi éclaire les mystères religieux, l’inutilité de se questionner face à l’évidence du merveilleux nous transporte jusqu’à la résolution de la mission que Jeff Nichols a confiée à Michael Shannon.


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EugénieF
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le 1 mars 2016

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