En seulement trois films, Jeff Nichols s’est imposé comme l’un des réalisateurs les plus importants du cinéma d’auteur américain. Avec Shotgun Stories, Take Shelter et Mud, il a su affirmer sa patte et confirmer qu’il n’avait pas à rougir devant les grands maîtres du cinéma contemplatif, tels que Terrence Malick ou Andreï Tarkovski. Avec Midnight Special, le jeune réalisateur continue sur sa lancée : sur fond d’Amérique profonde et de contemplation quasi-mystique, Nichols filme un drame familial dans lequel il tient à nouveau un discours sur la condition de parent. Une touche inédite vient cependant s’ajouter à la recette habituelle : la science-fiction. S’il avait déjà flirté avec le fantastique dans Take Shelter, Nichols nous livre ici une proposition inattendue. Inspiré par les films de son enfance – E.T. l’extra-terrestre, Rencontres du troisième type et Starman -, l’auteur se lance avec Midnight Special dans un mélange des genres somptueux, où il fait rimer émotion et merveilleux.


Un merveilleux en lequel on ne semblait plus croire – tant il déserte nos salles de cinéma -, mais que Nichols ressuscite littéralement à l’écran. Alors que le film commence comme un banal road-movie tout en se dirigeant doucement vers le genre policier, la science-fiction surgit sans crier gare, puis éclate sous nos yeux tel un volcan en éruption. Tous les ingrédients sont réunis pour évoquer les films de science-fiction des années 1980 : lumières bleutées, musique mystérieuse (ici composée par le talentueux David Wingo) qui contribue à la construction d’un monde fantasmé et croyance en des êtres ou des univers extraordinaires font de Midnight Special un objet digne des plus grandes productions du genre, notamment celles que Nichols prend pour modèles. Pourtant, là n’est pas le propos du réalisateur : en aucun cas il n’est question pour lui de rendre hommage à Spielberg et consorts ou de révolutionner la science-fiction. Nichols reste au stade de la référence et ne fait que fusionner les codes du genre à son propre cinéma.


En effet, le réalisateur de Mud reste égal à lui-même et nous livre un long-métrage qui lui ressemble, à savoir un film investi par une seule et unique ligne directrice, celle de sonder les rapports humains et, plus particulièrement, les liens de parenté qui unissent ses protagonistes. Il faut dire que les affaires de famille sont monnaie courante chez Jeff Nichols : violences fraternelles, angoisses du patriarche et paternité de substitution traversaient ses trois œuvres précédentes. Ici, c’est le dévouement sans faille de parents pour leur enfant qui est dépeint, tant dans l’amour et la protection dont ils enveloppent leur progéniture que dans les sacrifices qu’ils sont prêts à faire pour le préserver des dangers extérieurs. Un sujet tendre, propice aux lenteurs, à la rêverie, à une contemplation de la nature et du ciel comme entités supérieures dont seul Nichols a le secret : celles-ci viennent contrebalancer la puissance des quelques moments de science-fiction, dont le cinéaste ne se sert finalement que pour transcender son sujet et les relations qu’il met en scène.


Car c’est bien là que se trouve toute la quintessence du cinéma de Nichols : dans sa fascination pour les sentiments qui animent le cœur des hommes. Une sentimentalité qui peut paraître un peu naïve pour certains mais qui ne bascule pourtant jamais du côté de la sensiblerie et va jusqu’à enrober tous les enjeux du film. Porté par une véritable sincérité, Nichols fait confiance à ses acteurs pour exprimer toutes les nuances émotionnelles du scénario, notamment à Michael Shannon, avec qui il collabore depuis ses débuts et qui, selon lui, a la capacité de raconter beaucoup de choses rien qu’avec les traits de son visage. Cette complicité avec ses comédiens permet également à Nichols d’épurer sa mise en scène à l’extrême et d’alléger considérablement son intrigue. Avec cette méthode qui privilégie le minimalisme et la subtilité aux gros sabots habituellement croisés à Hollywood, le cinéaste prouve ainsi sa foi en nous et en notre intelligence de spectateurs. Un honneur que peu de réalisateurs contemporains se permettent aujourd’hui de nous concéder…


Malgré une promotion française trompeuse – non, Nichols n’est pas l’héritier de Spielberg et ne réinvente pas la science-fiction – et un accueil mitigé faute à des attentes elles aussi erronées, Midnight Special s’inscrit parfaitement dans la continuité de la filmographie de Jeff Nichols, qui montre décidément une facilité remarquable à vagabonder vers d’autres horizons tout en restant fidèle à son style et à ses obsessions d’auteur. Dans la forme comme dans le fond, Midnight Special est un film sublime et éclectique, où chaque plan respire l’urgence de vivre et le plaisir de faire du cinéma. Le réalisateur prouve une nouvelle fois qu’il est capable de côtoyer les étoiles et qu’il manie à merveille, tel un magicien, les genres cinématographiques et les sentiments humains. Qu’il touche au thriller, à la science-fiction, au fantastique ou simplement au film dramatique, Jeff Nichols parle toujours le même langage : celui du cœur.


© airsatz.wordpress.com

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le 9 mars 2016

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Amy  Furler

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