Midnight Special est un petit bijou de cinéma qui prend le spectateur par surprise. La filmographie de Jeff Nichols, longue d’à peine quatre longs métrages, le film du jour y compris, est exigeante, intense, mais également quelque peu cosmique, pour ne pas dire cosmogonique. Les visions de Curtis LaForche dans Take Shelter, les envolées mystiques du personnage de Matthew Mcconaughey dans Mud, et même d’une certaine façon le côté tragique de la violence fratricide de Shotgun Stories caractérisaient une œuvre plus proche de la contemplation et de la réflexion que de l’action.


C’est donc effectivement une surprise de le voir avec ce Midnight Special, sans doute le plus mystérieux de ses films, mais également celui où l’action est la plus incessante, toutefois d’une manière très personnelle. De l’action menée tambour battant mais sans débauche de moyens, dans une mise en scène soignée et très bien pensée, selon un rythme soutenu : un cinéma bien loin d’un blockbuster à sensations.


Dès le début donc, l’économie de mouvement est le maître mot. Alors que le générique n’a pas fini de se dérouler, le film égrène déjà les informations essentielles à sa compréhension au travers du son d’une télé qui reste hors champ à ce stade. Avant de voir Roy Tomlin (Michael Shannon), de Lucas (Joel Edgerton) et le jeune Alton Meyer (Jaeden Lieberher) plantés au milieu de leur chambre d’hôtel, le spectateur a déjà fait leur connaissance au travers de cette alerte télé. Alton est le fils de Roy, Lucas son ami d’enfance, et ils sont tous les trois en cavale. Doté de pouvoirs surnaturels, parlant en langues, dardant de puissants rayons de ses pauvres petits yeux que l’on doit constamment protéger avec des lunettes de piscine, Alton est l’objet de convoitises multiples, celles du Ranch, l’organisation sectaire d’où Roy les a extirpés, lui-même et son fils, et celles du FBI et de la NSA, qui reconnaissent des informations liées à la Sécurité domestique dans les indications sibyllines qui sortent de sa bouche et qui sont devenus paroles d’évangile pour les adeptes du Ranch. Pour les uns, Alton est un Messie qu’il faut récupérer à tout prix, pour les autres une menace diffuse qu’il faut interroger de près. Roy s’emploiera à le protéger des uns et des autres.


Et tout sera à l’avenant, traité avec une parcimonie qui n’est pas synonyme d’un manque de générosité, mais au contraire marque l’habitude du cinéaste de ne pas s’encombrer de fioritures et de produire un cinéma sec, sans gras et sans sucre. Les dialogues sont réduits au strict minimum, laissent de grands pans de l’histoire dans l’ombre, sans qu’étrangement, cela ne nuise à l’adhésion du spectateur, on pourrait même presque dire bien au contraire. Roy est le père d’un enfant différent, très différent, agissant d’une manière mystérieuse qui dépasse l’entendement, et pourtant, son père Roy le croit et le protège par dessus tout, et il a confiance en lui. Ainsi Jeff Nichols semble agir avec le spectateur. Il lui donne des choses éblouissantes à voir, sans donner forcément toutes les grilles de lecture, il l’invite à le suivre et à lui faire confiance.


La première fois qu’Alton Meyer apparaît à l’écran, la référence au E.T de Spielberg nous saute aux yeux, avec ce drap posé tout autour de lui, comme une serviette a enveloppé E.T dans les scènes finales du film éponyme. Et bien que Jeff Nichols ait effectivement répété à l’envi que Midnight Special est son hommage à la Science-Fiction des années 80, des Rencontres du troisième type à E .T pour ce qui est de Spielberg , ou encore Starman pour ce qui est de Carpenter, le film est définitivement reconnaissable comme étant du Jeff Nichols. C’est une réinterpétation brillante et moderne de ces références, avec par exemple ces très beaux effets spéciaux, hyper-percutants par leur signification que par le spectacle, comme ce satellite qui, peut-être du fait d’Alton, tombe sur une station-service : la violence est dans l’impact de l’acte sur les personnages et non dans l’acte lui-même. C’est cet accent permanent sur les sentiments des personnages et les relations entre eux, extrêmement caractérisés, qui fait toute la richesse et l’intérêt du film : c’est la dévotion sans faille de Roy envers un fils dont l’existence même le dépasse un peu, c’est l’amour maternel de Sarah (une Kirsten Dunst très convaincante en digne Mater dolorosa), très pragmatique et irrationnel en même temps, c’est l’amitié brute de Roy et de Lucas, deux faces du même personnage protecteur à l’égard d’Alton. C’est encore le charisme de Calvin Meyer, que Sam Shepard incarne un peu trop brièvement, mais qui ajoute encore au trouble du film ; et c’est enfin le désarroi de Paul Sévier (impeccable Adam Driver), cet agent de la NSA qui joue à merveille son rôle de Ponce Pilate partagé entre le devoir et la fascination devant un enfant devenu de plus en plus messianique…


Jeff Nichols a donc réalisé un film de science-Fiction, mais d’un genre très original, tout comme Take shelter était un survival très original, tout comme Shotgun stories était un revenge movie très original, comme Mud était un film d’initiation très original. Parti sur cette belle lancée, le cinéaste promet de nous étonner encore longtemps, pour notre plus grand bonheur…

Bea_Dls
9
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le 18 mars 2016

Critique lue 321 fois

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Bea Dls

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