Quitte à ne pas avoir à nouveau David Fincher pour adapter le 2e Millenium et prendre un réalisateur qui souhaite tout se réapproprier avec un nouveau casting, autant assumer la discontinuité en s'attaquant directement au 4e tome. La démarche permet d'indiquer au néophyte qu'il n'y a pas besoin d'avoir vu le film de Fincher ni lu les précédents livres, et au moins cela change des tomes qui ont déjà eu beaucoup d'adaptations sur tous les supports possibles (films, BD, série télé, fiction radiophonique sur France Culture). Le livre Ce qui ne me tue pas, écrit après la mort de l'auteur Stieg Larsson, a une réputation mitigée mais entre les mains de Fede Alvarez, réalisateur de l'excellent Don't Breathe, il y a matière à se faire plaisir.


La hackeuse asociale Lisbeth Salander est contactée pour une mission qui tourne évidemment mal, impliquant la NSA, des gangsters et un passé qu'elle aurait souhaité oublier. Comme je me suis arrêté au 3e tome je ne peux juger moi-même de la fidélité à l’œuvre originale, mais pour ce que j'ai lu sur sa page Wikipédia (#JournalismeTotal) Fede Alvarez, crédité également au script, semble avoir pris beaucoup de liberté. Des rôles entre les personnages sont réattribués, des enjeux sont gonflés au niveau d'un techno-thriller, on délaisse un peu Mikael Bloomkvist pour que l'iconique Lisbeth soit de tous les fronts, on modifie certaines péripéties et on s'épargne nombre d'explications sur l'origine des planques de Lisbeth ou sur sa manière de hacker.


Il semble que le livre tentait de donner une impression de crédibilité en recourant à des termes techniques sur l'informatique alors que des lecteurs soulignaient que Lisbeth était crackée par rapport aux livres de Stieg Larsson, arrivant à pirater la NSA sans transpirer. Fede Alvarez ne fait pas semblant de proposer du réalisme, il fait de sa Lisbeth une super-héroïne qui prend possession de tout ce qui a un circuit imprimé sans s'embarrasser d'explication. Elle pianote sans rien dire, ça fait un truc improbable façon Lucy (en mieux) et tout le monde hoche la tête. Voilà le parti pris assumé de ce nouveau film qui tiens moins de l'enquête poisseuse et rigoureuse que de l'action façon James 'Daniel Craig' Bond assistée d'un super-pouvoir. Vous acceptez l'idée ou vous partez. Ayant lu les tomes 2 et 3 qui viraient à l'invraisemblable dans ses scènes d'action, je me faisais facilement à l'idée d'un tel récit.


Le scénario est effectivement loin d'être fantastique. Les fantômes de Lisbeth qui la rattrapent n'apportent pas grand-chose à ce qui était dévoilé dans les deux précédents livres durant lesquels elle avait déjà eu l'occasion de cicatriser en partie. Ce sujet reste à la surface, les quelques face-à-face ou questionnements sur l'idée d'oublier le passé sont très maigres. Il faut se rabattre sur un thriller d'action finalement convenu, loin de la hargne sociale et de l'ambiance glauque de la trilogie. La photographie reste sombre et le film demeure dans le ton de la licence, mais il ne va pas provoquer le malaise des Hommes qui n'aimaient pas les femmes, sans pour autant que cela ne choque sur le coup. L'écriture vire parfois dans le pompeux, le genre où un personnage démarre une conversation par une phrase toute faite pour se donner une allure, même si le film semble en faire une autodérision. L'humour arrive d'ailleurs à être présent sans alourdir les scènes ou se montrer hors de propos, avec même une parodie de John Woo inattendue.


Les personnages ne sont pas non plus toujours au top. L'essentiel est sauf : Claire Foy est parfaite dans le rôle de Lisbeth et fait illusion alors même qu'on venait de la voir il y a quelques semaines en Janet Armstrong, épouse du First Man. Elle n'a jamais besoin de jouer sur les clichés de la punk violente, son visage parle pour elle. Je garderai une préférence pour Rooney Mara, sans doute avantagée d'avoir été la première incarnation de Lisbeth que j'ai vue, mais Claire Foy porte le film sans avoir jamais besoin d'en faire trop. Malheureusement Mikael Blomkvist garde une forte importance par sa relation privilégiée avec Lisbeth Salander, et il est joué par un Sverrir Gudnason bellâtre qui n'inspire aucune sympathie. Je voyais ce que Lisbeth trouvait à Mikael dans le film de David Fincher et dans l'adaptation radiophonique de France Culture, là je ne vois vraiment pas. Heureusement qu'il est mis en retrait par rapport au livre, mais quitte à ce que Fede Alvarez ne s'intéresse pas à ce personnage il aurait pu carrément le supprimer, ou le réduire à un caméo le temps de rappeler ce qu'il représente pour Lisbeth. Sylvia Hoeks est également très transparente dans un rôle qui aurait mérité d'être bien plus trouble et moins cliché. L'enfant autiste surdoué et exagérément insensible enfonce le clou, je n'y ai pas cru du tout et on sent qu'il n'est là que pour que Lisbeth se compare à lui le temps d'une scène qui ne va pas très loin. Cependant j'aime un peu Lakeith Stanfield, au rôle finalement limité mais qui se tient bien.


C'est quand même pas génial du tout comme matériau de base. Il n'y a pas de quoi être énervé mais ce n'est pas attirant. Cependant Fede Alvarez à l'air de s'amuser. Il parasite le film pour en faire son bac à sable, même s'il a tendance à beaucoup reprendre des autres. Si Don't Breathe ne vous avait pas suffi, ce Millénium vous fera bien comprendre qu'il vénère le réalisateur de Panic Room. Travelling anxiogène à ras de la table, exploitation des caméras, le gus reprend ces effets qui lui font plaisir mais le fait bien. Il use de manière ludique du pouvoir magique de Lisbeth qui contrôle les ascenseurs, qui ouvre et ferme les portes automatiques, qui contrôle toutes les caméras et qui fait ce qu'elle veut avec ton PC, oui le tien que tu utilises en ce moment, le tout quasiment par la pensée. Qu'est-ce que Fede Alvarez peut en avoir à fiche de son histoire de missiles nucléaires quand il peut jouer avec ça à la place ? J'apprécie en particulier le climax finalement anticlimaxique, qui rappelle que même planqué dans sa forteresse on reste à découvert devant l'informatique. Une manière de casser le level design en soufflant sur la cabane des 3 petits cochons.


Il y a toujours un truc à proposer en mise en scène, mais ce n'est cependant pas toujours bien original. L'effet de montage repris du Silence des Agneaux se reconnaît facilement et paraîtra réchauffé aux amateurs. Le coup des personnages qui se rencontrent devant des œuvres d'art relaxantes pour donner une touche classieuse façon Sam Mendes ou John Wick 2, c'est agréable mais ça sonne comme une tentative de nous épater hors de propos par rapport à la scène. Il y a aussi des symboles assez lourdauds, par exemple on nous fait le coup de la statue de l'ange placée derrière Lisbeth pour lui donner des ailes. On a aussi une récurrence pas très fine des araignées, parce que le livre s'appelle The girl in the spider's web aux USA (y a pas qu'en France qu'on a des traductions aléatoires). Quitte à continuer dans les symboles trop voyants, une certaine tenue excessivement rouge donne l'impression que l'on est tombé dans de la fantasy pour ado en mal d'inspiration. Pour en finir avec les choix de réalisation auxquels je n'adhère pas, je trouve que l'esthétisation du film, très réussie certes, se retourne parfois contre lui. Je pense à une scène avec des masques à gaz qui fait son effet, mais dans ce contexte j'aurai du me dire "C'est glauque" plutôt que "C'est stylé".


Fede Alvarez trébuche un peu avec certains de ses innombrables effets, mais jamais de manière fâcheuse et je préfère ça plutôt que de le voir rester pépère tout le film. J'ai mentionné son recours aux symboles, mais des fois ça rend très bien comme quand il représente une mue. Il a toujours un travelling sympa à présenter, un petit plan qui claque ou une manière de nous impliquer dans sa scène. En outre il filme très bien Claire Foy et valorise parfaitement son personnage. Il est dommage de le voir s'amuser ainsi sur une base aussi bancale, ça me rappelle Bayona sur Jurassic World : Fallen Kingdom, mais en bien mieux. Le film a des défauts qui réduisent son intérêt mais qui n'annulent pas ses qualités contrairement au blockbuster de dinosaures, par exemple il n'essaie jamais d'ajouter une couche de cool forcé pour brancher un jeune public. S'il a effectivement beaucoup diminué la noirceur et le malaise qui font l'identité de la saga, il ne donne pas pour autant d'impression flagrante d'aseptisation. Ce dernier Millenium pourra donc plaire à ceux qui ont plus envie de s'amuser avec de la mise en scène que de profiter d'une histoire forte, c'est clairement un visionnage qui ne vous tuera pas.

thetchaff
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le 17 nov. 2018

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