Splendide et intelligent, à condition de le regarder deux fois de suite.
Un studio de cinéma est détruit par des pelles mécaniques. Deux reporters vont interviewer à cette occasion une ancienne actrice qui vit recluse depuis 30 ans, Chiyoko Fujiwara. Chiyoko souffre de troubles de mémoire, mais le reporter lui donne une clé qui semble avoir été importante pour elle. Cette clé déclenche une vague de souvenirs chez l'actrice. Alors qu'elle est gamine et s'interroge sur sa capacité à être actrice, elle rencontre dans la rue un peintre qui fuit l'armée et laisse un tableau inachevé de paysages de neige. Ce peintre, poursuivi par la police, se réfugie dans une cahute et dit fuir le lendemain pour la Mandchourie. Le lendemain, Chiyoko revient et trouve des traces de sang et une clé, dont le peintre lui avait dit qu'elle ouvrait la chose la plus importante. Comme on lui propose un rôle en Mandchourie, Chiyoko commence sa carrière d'actrice.
Voilà le point de départ. La suite du film retrace la carrière de l'actrice, qui ne retrouve jamais son amour : son flirt avec un grand réalisateur, qui lui cache la clé pendant bien des années ; la jalousie d'une autre actrice plus âgée... A plusieurs reprises, Chiyoko est persuadée d'être sur le point de retrouver son amour, et s'engage une course-poursuite fantasmée à travers des éléments de décor, des flashbacks, etc... C'est très beau, mais cela tourne un peu au procédé sur la fin.
La première vision vous laissera un goût d'inachevé, le film se terminant au bout d'1 h 20. Comme si seule la moitié du contrat avait été rempli. En effet la mort de Chiyoko, figurée par un dernier fantasme qui la voit, comme dans la séquence de film du début, monter dans une navette spatiale et partir seule ans l'espace, a quelque chose de réchauffé. Surtout avec notre regard actuel affuté, on espérait une conclusion plus alambiquée que "finalement, c'était le chemin parcouru qui était plus important que l'objectif qui se dérobe sans cesse". D'autant que les deux reporters, qui suivent Chiyoko dans ses poursuites/fantasmes, ont vraiment un rôle de sidekicks spectateurs/comic relief un peu énervants.
Mais en y regardant de près, le film est d'une grande richesse.
D'abord dans son hommage au cinéma japonais d'après-guerre. On y trouve des réferences évidentes au "Chateau de l'araignée" (les pluies de flèches, la prophétesse-Parque ; au "Sabre du mal" (le ninja armé d'un pistolet) ; à la SF bien sûr (2001 ? Je ne sais pas si la SF japonaise existe) ; mais aussi aux films de monstre, et aux films de Ozu (les mélodrames familiaux que Chiyoko tournent et la touche du réalisateur).
Ensuite dans son rapport à la narration. Car si l'intrigue a quelque chose de décevant, ici ce sont les liaisons entre les éléments qui sont intéressantes, qui donnent le contenu. Et ça, c'est très contemporain. Un exemple avec la scène d'ouverture : on voit la séquence de départ de la navette. Puis, tandis que la navette tremble à l'écran avant de décoller, la caméra recule et on voit que c'est un film que le journaliste visionne (il dit même les répliques à l'avance). Puis l'image continue de trembler et l'on se rend compte qu'il s'agit non pas du film visionné, mais d'un vrai tremblement de terre. Motif qui incarne le destin, souvent funeste (résonance avec les bulldozers qui détruisent le studio). Le film nous dit déjà de quoi il va parler : de l'imbrication entre fiction et réalité.
On pourrait multiplier ainsi les exemples de raccords intéressants et bourrés de sens. Et même les deux sidekicks glissent quelques phrases intéressantes, comme lorsque Ida, le caméraman, se plaint : "C'était pas censé être un reportage ?". Alors que le film intègre beaucoup d'allusions aux réalités du cinéma japonais, pour qui sait les voir. Idem, on voit un extrait de la mission Apollo et le film suggère que le studio suit l'actualité pour plaire au public. J'aime d'ailleurs bien la séquence dans les locaux de la direction avec toutes les images de film accrochées au mur.
Au terme d'un deuxième survol rapide, la clé ne représente pas, à mon sens, l'amour, ou même le chemin que l'on parcourt vers l'amour. Elle a été donnée à titre de time-capsule : c'est elle qui déclenche le flashback, qui rend le film possible. Mais ça le film ne vous prend pas par la main pour que vous le compreniez.
Bref, ma seule réserve devant ce film tient au fait que le McGuffin de la clé est un peu grossier, du moins dans les 20 dernières minutes du film. Sinon on a là une oeuvre fort adulte sur le cinéma, le rôle que joue la fiction dans nos vies, l'importance de la mémoire.