Deux ans après The Lobster, Yorgos Lanthinos continue sur son cheminement international avec cette Mise à mort du cerf sacré, conte défait aux règles infernales. Premier (long) plan sur une chirurgie à cœur ouvert et la machine – impitoyable - est lancée.


Au-delà de toute considération médicale, et comme pour accentuer la prépondérance graphique de l’univers hospitalier – là où les guéris finissent nécessairement par mourir quelque part sur les bords des longs couloirs immaculés, c’est sous le prisme obscur d’un regard chirurgical et retiré que nous observerons l’implacable progression – presque actée – de l’intrigue, détraquée.


De l’ambiguïté initiale provoquée par la relation – tue – entre Colin Farrell, chirurgien pileusement foisonnant et tout en tranquille virilité méditerranéenne (y aurait-il de la Grèce là-dedans ?) et Barry Keoghan, troublant adolescent troublé, gueule cassée et sentant la psyché chelou à mille miles à la ronde, naît un étrange jeu de pouvoir, cristallisé par un ultimatum insensé qui revêt le film de son vrai manteau : celui d’une histoire de justice divine et de sacrifice(s).
Sacri…fils ? No spoil. Et c’est ainsi que cette mise à mort semble prendre l’allure d’une fable qui, bien que résolument moderne, se montre aussi hantée dans sa fibre par les tragédies grecques d’autrefois (métaphorique ? God only knows)


Fils directeurs de sa filmographie, l’humour (très) noir de Lanthinos et le jeu artificiel et machinal des acteurs prennent ici une dimension peut-être moins claustrophobe ; la caméra s’autorisant davantage de mouvements qu’à l’accoutumée. Alors qu’on assiste à la progressive stérilisation émotionnelle des protagonistes – dont Nicole Kidman, positivement figée – chaque membre de cette famille proprette en pleine implosion sourde – mais pas que - incarne parfaitement son pion dans ce drôle d’échiquier aux lois redéfinies par l’apparition de l’élément perturbateur, presque surnaturel.


Là où Lanthinos touche juste, c’est en envoyant balader la raison et le raisonnable – le pourquoi ? s’avorte dans son propre œuf – que ce soit dans ses considérations christiques ou dans la résurrection inattendue d’Alicia Silverstone, et c’est tout en grandiloquence (le son ! la musique !) et en désincarnation(s) qu’il – justement – substantifie son œuvre ; celle d’un cinéma hybride et assassin, glacial sans jamais être austère, faussement naturaliste et fantastique.


Et c’est en berne du rationnel qu’on assiste à la démonstration magistrale de ce Théorème dérangé, le brame d’un cerf rongé par son mal intérieur.


Vaut Canine, et largement.

oswaldwittower
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le 8 oct. 2017

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