De Palma ouvrait le bal il y a 20 ans, le ton était résolument contemporain, le cinéaste n'ayant que faire de jouer avec le charme désuet de la série d'origine, préférant ouvrir la piste d'un blockbuster hitchcockien. Les suivants ont perdu Hitchcock en route, mais pas le contemporain (je n'ai pas vu celui de Brad Bird).
Christopher McQuarrie renoue avec Hitchcock. Ici la référence est explicite : L'homme qui en savait trop, le crime et l'opéra, le suspense et la musique ; au point d'orgue, on tire. Jusqu'aux lieux : Londres et le Maroc comme terrain de jeux.
On peut aussi penser aux Enchaînés, à cause de ce beau personnage féminin compromis et blessé, portant en elle la douleur de n'avoir plus d'identité, plus d'idéaux, d'être en perpétuelle errance, sans refuge. C'est elle qui donne au film sa force, sans quoi rien ne tiendrait.


Car si Christopher McQuarrie enchaîne les morceaux de bravoure, le ton est un peu insipide. Qui sont les agents de Mission Impossible ? De braves gars, des amis pour la vie, qui préfèrent le terrain à la spéculation face aux écrans. Le monde moderne, très peu pour eux ; ils sont de la vieille école. Ils risquent leur vie, ils font ce qu'on leur dit de faire, sans aucune conscience politique, simplement parce que c'est ainsi qu'ils sont, qu'ils peuvent continuer à être. Ils sont potaches, leur coeur est un secret, leur romantisme est tout entier contenu dans le regard qu'ils portent aux femmes. L'organisation pour laquelle ils travaillent est véreuse : qu'à cela ne tienne, ils continuent à la servir. Globe-trotteurs, ils incarnent pourtant l'idée même de nation. Ces agents ne sont rien d'autre que des frontières. Ils s'accrochent aux parois, ils referment sur les dissidents une cage de verre (qui fait écho à la toute première scène du film de De Palma, où Tom Cruise au contraire provoquait l'explosion d'un aquarium géant), ils ne cessent de délimiter, de redéfinir ce qui voudrait brouiller les cartes.
De Palma faisait de ses héros des caméléons faillibles, ou bien plutôt des failles aux vertus de caméléons, étrangement victorieuses par prestidigitation ; Christopher McQuarrie, lui, inverse les pôles : ses héros sont des murailles qui se font passer pour des gouffres, mais rien ne les atteint jamais vraiment, et la romance esquissée (de façon superbe, dans une grande gare) n'adviendra pas. Le film parvient, bien sûr, à nous faire croire que quelque chose de plus grand que les personnages est en train de se jouer d'eux. Et c'est cela qui nous tient en haleine. Mais pour quelle émotion ?


Le point noir du film est sa conception du méchant. Le méchant est méchant, point. On évoque un trouble d'ordre psychologique ou moral, mais très rapidement. Ce trouble est sans envergure, sans conséquence. Un vague à l'âme. Une crise de la quarantaine. Certainement pas une prise de conscience. J'aurais rêvé voir un méchant conscient, un dissident, un vrai, pas un illuminé qui sort de sa dépression pour abattre quelques têtes et empocher les dollars. Un méchant qui ait la puissance politique d'Edward Snowden, en fait. Un méchant qui soit surtout un danger. Et que le film assume, après cela, une redéfinition de son manichéisme. Que toutes les valeurs soient absolument sabotées par sa présence. Que Tom Cruise soit un homme totalement perdu, c'est-à-dire un héros, quelqu'un à qui on a menti, et qui ne cède ni sur la conscience de la trahison ni sur son désir d'être plus qu'un rouage d'une organisation décadente. Or ce n'est pas le cas. Le film se veut rassurant. Tout est en ordre et tout le restera. Sa puissante mise en scène est au service d'une encore plus puissante vacuité.

Multipla_Zürn
3
Écrit par

Créée

le 17 août 2015

Critique lue 380 fois

4 j'aime

1 commentaire

Multipla_Zürn

Écrit par

Critique lue 380 fois

4
1

D'autres avis sur Mission: Impossible - Rogue Nation

Mission: Impossible - Rogue Nation
Sergent_Pepper
7

Rien de neuf, un effet bœuf.

Le plaisir éprouvé devant ce cinquième opus de la saga occasionne un questionnement légitime : comment expliquer qu’on puisse se satisfaire de l’inertie d’un tel cahier des charges lorsqu’on fustige...

le 12 août 2015

108 j'aime

9

Mission: Impossible - Rogue Nation
zombiraptor
8

Tom, sweet Tom

Rarement je n’ai été si reconnaissant envers le cinéma d’action actuel d’être ce qu’il est. C’est grâce à une uniformisation constante et résignée dans la surenchère et l’euphorie du second degré...

le 15 août 2015

93 j'aime

42

Mission: Impossible - Rogue Nation
SanFelice
7

Ethan Hunted

Christopher McQuarrie est le scénariste de Usual Suspects. Rien que pour cela, il mérite toute ma sympathie. Ayant aussi écrit le précédent Mission impossible, il a toute mon attention pour ce film...

le 13 août 2015

44 j'aime

12

Du même critique

As Bestas
Multipla_Zürn
2

Critique de As Bestas par Multipla_Zürn

Un cauchemar de droite, créé par l'algorithme du Figaro.fr : un projet de construction d'éoliennes, des bobos néo-ruraux en agriculture raisonnée, des vrais ruraux sous-éduqués qui grognent et...

le 26 sept. 2022

44 j'aime

44

Les Herbes sèches
Multipla_Zürn
9

Critique de Les Herbes sèches par Multipla_Zürn

Les Herbes sèches est un film sur un homme qui ne voit plus, parce qu'il n'y arrive plus, et parce qu'il ne veut plus se voir lui-même au coeur de tout ce qui lui arrive. Il prend des photographies...

le 25 juil. 2023

37 j'aime

2

Moonlight
Multipla_Zürn
4

Critique de Moonlight par Multipla_Zürn

Barry Jenkins sait construire des scènes (celle du restaurant, notamment, est assez singulière, déployant le temps dans l'espace via le désir et ses multiples incarnations, à savoir la nourriture, la...

le 5 févr. 2017

37 j'aime

1