Critiques américaines et européennes dithyrambiques, pluie de nominations et de récompenses, bouche-à-oreille de très bonne augure, "Moonlight" constitue très clairement l'un des films-événement de ce début d'année 2017 et pas seulement (loin de là d'ailleurs) en raison de ses innombrables distinctions, mais aussi et surtout parce qu'il est très clairement un film de très grande qualité, d'une très grande beauté et d'une émotion à fleur de peau.


Adaptation de la pièce de théâtre "In Moonlight Blackboys Look Blue" de Tarell Alvin McCraney, "Moonlight" conte le récit en trois temps (l'enfance, l'adolescence, l'âge adulte) de Chiron, un jeune afro-américain issu des bas quartiers gangrenés par la drogue et la délinquance. "Elevé" une mère toxicomane et négligente, malmené par les autres enfants de son quartier et ses camarades de classe, Chiron enfant trouvera l'amitié et l'empathie auprès de Juan, un dealer local qui est également le "fournisseur" de sa mère, qui, plutôt que de faire du petit garçoni son bras droit, en devient un véritable père de substitution, lui apprenant tout ce qu'un enfant doit connaître de la vie.


Vu sous cet angle, "Moonlight" pourrait s'apparenter à une énième variation à caractère social sur le milieu afro-américain, pétri de clichés de plus en plus répétitifs (rap à outrance, filles traités comme des objets sexuels, grosses bagnoles bien thunées, drogues et flingues à gogo). Or, ici, force est de constater qu'il n'en est rien et c'est déjà cela qui le rend le film si intéressant à suivre.
En effet, le réalisateur Barry Jenkins prend bien soin de tordre le coup à ces sempiternels clichés pour mieux les réinventer. Ainsi, Juan le dealer local apparaît comme un homme responsable et mâture qui traite sa petite amie avec respect, vit dans une maison tout ce qu'il y a de plus normal et surtout se comporte en tant que père envers Chiron le malchanceux.
De même, aux morceaux de rap habituels (qu'on entendra néanmoins plus tard dans le film une fois Chiron devenu adulte), Jenkins leur substitue Mozart, ni plus ni moins et, qui plus est dans les scènes "père"-fils.
Ces quelques "remaniements" confèrent au film une certaine modernité à la fois bienvenue et bienveillante dans la mesure où elle prouve que le réalisateur ne porte aucun jugement sur les personnages. Bien que certains puissent sembler franchement détestables (la mère de Chiron ou encore l'autre jeune qui lui mène la vie dure à l'école), le réalisateur n'accentue jamais les traits, se contentant de filmer la dure réalité de Chiron le plus simplement du monde, sans aucun effet "m'as-tu vu" ou trop appuyés.


S'il peut-être envisagé en tant que récit initiatique, "Moonlight" se permet néanmoins de laisser planer quelques zones d'ombres sur son personnage principal.
Au fond, qui est vraiment Chiron ? Est-il vraiment quelqu'un de fréquentable ? Est-il vraiment homosexuel ? Tel est ce genre de questions que le spectateur sera susceptible de se poser, une fois la projection terminée, tant la structure du récit nous présente Chiron sous différentes formes : à la fois enfant renfermé et limite mutique, adolescent mal dans sa peau et tourmenté, et enfin adulte physiquement très balèze et à la réputation difficile.


La grande intelligence du film réside aussi dans le fait que les thématiques qu'il brosse (le milieu afro-américain, l'homosexualité naissante, la valeur de l'amitié, la paternité retrouvée) sont entièrement au service du scénario, rien n'est là pour faire joli ou tape-à-l'oeil; l'envie de Barry Jenkins étant de faire juste un bon film, envie qui, combiné à son talent de conteur et de réalisateur, transforme "Moonlight en immense film, en très beau moment de cinéma.


Porté par des comédiens de talent pour la plupart quasi inconnu, exception faite des excellents Mahershala Ali (repéré dans les séries "House of Cards" et "Luke Cage) et Naomie Harris (Miss Monneypenny dans les derniers "James Bond") dans les rôles respectifs de Juan le père de substitution et de Paula la mère de Chiron, bercé par une musique douce et mélancolique, et par des plans d'une très grande beauté (rarement l'utilisation du "gros plan" n'aura été si efficace pour retranscrire toute l'intensité physique émotionnelle d'un personnage), "Moonlight" s'affiche clairement comme l'un des meilleurs films de ce tout début d'année et pourrait bien figurer dans mon "Top Final" de fin d'année 2017.


A ne pas manquer !

f_bruwier_hotmail_be
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Créée

le 3 févr. 2017

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