Mauvais, comme redouté. Le film est tout entier bousillé par ses postulats de départ qui ne peuvent qu’aboutir à ce non-film. Les principes directeurs de Moonlight sont les suivants : pudeur, rétention des sentiments, fragmentation du récit. Cela donne un film non-filmé, non-écrit, non-joué.
Moonlight est divisé en trois parties : enfance, adolescence et âge adulte d’un homosexuel Noir à la vie pour le moins contrariée. Film ambitieux, programme passionnant mais 1h45 de récit. Comment tout raconter en si peu de temps? Réponse du cinéaste et du scénariste : en faisant un film à trous, que le spectateur bien guidé par la mise en scène remplira à sa guise. C’est un peu comme si on invitait quelqu’un au restaurant et qu’on comptait sur lui pour apporter son sandwich pour ne pas crever la dalle. Problème, je suis venu les mains vides (vu que je suis ni Noir, ni gay) et j’ai faim.
Plus sérieusement, on a donc trois parties d’une durée égale qui essaient chacune, tant bien que mal , de nous faire le portrait de son personnage principal à un moment clé de sa vie. Le film ne veut s’attarder sur rien, sauf sur le visage buté de son héros. Autre handicap énorme : puisqu’il s’agit de la vie d’un gay Noir dans quartier violent de Miami, celle-ci est nécessairement faite de frustration, de silence, d’humiliations. Le personnage est donc timide, triste et peu bavard. Ca donne quoi ? Des dialogues ânonnés, des moments de gêne et des ralentis. Ca c’est pour l’aspect « homo noir dans le placard ». On n’échappe pas non plus aux scènes d’humiliations et de brimades mais comme on est entre gens délicats et bien élevés, on n’en fera pas trop, on se retiendra. Faudrait surtout pas montrer un peu de vie. Point trop n’en faut.
Le film n’évite pas non plus les clichés. Tous les personnages sont soit délinquants, soit drogués. Un sommet est atteint avec celui de la mère. Elle est évidemment accro au crack, c’est évidemment une mauvaise mère et elle ne sera que ça pendant tout le film. On ne lui donnera aucune chance de sortir de cette caractérisation sommaire et vue mille fois ailleurs. Et le pire, c’est que la maman du scénariste et celle du cinéaste étaient accros au crack. Les mecs ont tous les deux vécu ça de près et sont infoutus de rendre ça un peu singulier, un peu incarné, un peu intéressant à l’écran.
Le personnage de Chiron lui évolue un peu : il fait de la muscu. Il est donc baraqué comme 50 cent à la fin du film. Mais il est toujours timide, il n’arrive pas à aligner plus de trois mots d’affilée (ce dont a conscience le scénariste, puisqu’il le fait dire à un autre personnage, sans voir le problème que ça pose), ce qui donne des dialogues à base de « yeah » « maybe » « « I don’t know ». Super intéressant. Le personnage de Kevin n’est pas tellement mieux servi, même s’il est censé avoir la tchatche. Enfin, ça c’est dans la deuxième partie, parce que dans la dernière partie, vu qu’il est ému, gêné et surpris par le style du nouveau Chiron, il a perdu de sa verve. On imagine donc sans mal quel sommet d’écriture atteint la troisième partie presque exclusivement consacrée à leurs retrouvailles : « come on man ». Elles devraient être bouleversantes et pourtant je ne suis pas ému un seul instant. Outre la faiblesse des personnages, le problème est que le cinéaste n’a pas pris le temps durant les deux premiers tiers de filmer ses personnages, de leur donner de l’espace pour exister. Au bout d’une heure, on ne les connaît pas vraiment, on n’a pas d’images en tête de leurs relations donc quand ils se revoient 10 ans après, on ne sent pas le temps qui a passé et la distance qui s’est installée entre eux deux. Qui est Chiron au juste ? Un homosexuel noir un peu timide. Ce qui nous était dit au bout de 2 minutes de film.
L’écriture n’est pas seule en question, c’est aussi toute la mise en scène du cinéaste qui est responsable de ce déficit d’émotion. Ca commence par un plan séquence ridicule, qui ne se justifie aucunement, avec une caméra qui virevolte dans tous les sens, dont le seul but est d’indiquer au spectateur qu’il a affaire à un auteur. Le film privilégie la caméra à l’épaule, les plans courts et les gros plans sur les visages. On convoque les Dardenne et Gus Van Sant en suivant régulièrement les personnages de dos en caméra portée. Sauf que chez ces cinéastes, cela avait un sens, c’était un principe de mise en scène (principe d’immersion chez les Dardenne, d’empathie distante chez GVS) pas une afféterie pour donner du cachet à leur film. De même, Wong Kar Wai est cité lors de la dernière partie, pour créer une ambiance, un ton un peu lyrique et romantique. Sauf que là encore, chez ce dernier on y allait vraiment, on faisait réellement des scènes, on passait 1h30 dans des couloirs d’hôtel avec deux amants. Ici c’est une citation un peu poseuse pour combler du vide, puisqu’on ne s’attarde sur rien. Et quand le film doit se calmer un peu lors d’une scène de dialogue, c’est massacré par un choix inapproprié : la caméra à l’épaule. Exemple : première scène de drague au lycée entre Chiron et Kevin, celui-ci le baratine, lui fait croire qu’il est un tombeur alors qu’il bout de désir pour lui. Au lieu de poser sa caméra, le cinéaste l’a fait bouger dans tous les sens, elle ne se fixe rien, on ne voit rien. Alors, naturellement, on peut l’expliquer en disant que ça épouse le regard de Chiron, toujours fuyant, qui n’arrive pas à fixer les gens. Mais le résultat est le même : trop de mouvements, pas assez de cadres, pas de scène. On ne donne pas assez au spectateur la possibilité de prendre la mesure de la situation, on préfère morceler son regard.
Bref, pour résumer, sous-écrit et non-filmé, à peine joué.

Carlito14
4
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le 4 août 2017

Critique lue 325 fois

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Carlito14

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