Still a better love story than...

Un film de vampire avec une histoire d'amour entre des pré-adolescents. Ce pitch aurait dû me refroidir à des milliers de kilomètres. Et je ne nommerai pas de responsable, histoire de (pour une fois) ne pas tomber dans la facilité. Bien que j'insiste lourdement sur le fait que les responsables soient connus de tous. Ou peut-être pas tant que ça. Un sous-genre de roman à l'eau de rose un brin sensationnel pour adolescentes en crise apparu dans les années 90 et habilement récupéré par certains opportunistes pour populariser un genre obscur et accessoirement ramasser pas mal de pognon montre que la cible n'est pas si évidente. Et puis la clientèle visée est souvent bon public. Enfin bref, tout ça pour dire que j'étais plus que sceptique concernant Morse, qui pourtant se positionne à l'opposé de tout cela. Mais les préjugés sont souvent vivaces. Surtout que le titre donne une impression de lourdeur quasi pachydermique, c'est physique. Évidemment ça n'aide pas.

Mais au final Morse s'éloigne de tout cela de manière très distincte. On oublie la jeune fille séduisante et relativement innocente, bien que peu farouche et un brin caractérielle (une chieuse en somme) et le vampire beau garçon ténébreux (encore plus creux que la fille). Ici on se retrouve avec Oskar, une victime blonde et blafarde au corps filiforme en guise d'humain et Eli, une fillette androgyne et sauvage dans le rôle du vampire. Oubliés également toute la mièvrerie habituelle du genre, les histoires d'amour clichés au possible et les protagonistes lisses. Les personnages sont à l'image de l'atmosphère de la banlieue de Stockholm où ils habitent : froids, austères et rudes. Les relations entre les différents rôles sont ambiguës et tout particulièrement celle entre Eli et Oskar, nfiniment plus complexe qu'une simple amourette*. Les deux tourtereaux sont tous les deux aussi torturés. Oskar est une victime solitaire, amorphe et faible alors qu'Eli bien que tout aussi solitaire est bien plus forte, autant physiquement que mentalement. Néanmoins chacun apprendra de l'autre. Eli d'abord réfractaire à toute relation à l'autre va se rapprocher indéniablement d'Oskar et celui-ci finira par prendre l'initiative de se défendre et de défendre Eli. La scène du coup du bâton est terriblement brutale alors que c'est l'une des scènes de violence la moins virulente. Mais ce coup représente bien plus pour l'évolution d'Oskar qu'un massacre pour Eli. Ajoutons aussi que l'on évite à tout prix le gore trash et la violence pornographique pour faire dans le sensationnel. Ne montrer que le minimum nécessaire ne permet que de donner plus d'impact à ces scènes qui auraient trop versé dans le spectaculaire, cassant ainsi l'impression de leur violence extrême sur le spectateur. La scène de la piscine en est l'exemple même, on ne peut qu'imaginer la violence d'une scène que l'on ne voit pas car la caméra reste en plan fixe sur le visage d'un Oskar immergé**. La nature vampirique d'Eli est loin d'être édulcorée, ne pas verser dans la surenchère visuelle n'enlève pas son côté sanguinaire et impitoyable mais permet de renforcer le contraste entre le côté extrêmement humain qu'il lui reste et sa soif dévorante. Enfin, aucun réarrangement hasardeux avec le mythe du vampire : on reste relativement classique pour mieux casser les codes. En gardant les caractéristiques principales du vampire tout en s'éloignant du château perdu dans les Carpates on modernise le mythe tout en gardant son essence.

La photographie est vraiment très réussie, et l'ambiance retranscrite est d'un froid extrême, parfois même trop. Le film dégage tellement peu de chaleur qu'il en devient parfois repoussant. Même dans les scènes d'intérieur l'impression qu'il fait -40 persiste. On obtient une atmosphère glaciale et clairement morbide omniprésente. Ce film est d'un glauque absolu : le caractère cyclique des protecteurs diurnes d'Eli, savoir que le sort d'Oskar sera le même que l'ancien gardien d'Eli, le désespoir maladroit du jeune garçon, tout cela est tellement déprimant que même Virgin Suicides n'est pas aussi désespérant. Vieillir bloqué à côté d'un être éternel de 12 ans c'est un sort très peu enviable. Surtout que je me suis demandé si Eli ne profitait pas d'Oskar pour avoir un nouveau gardien, vu l'âge qu'elle doit avoir le fait d'embobiner un gosse de 12 ans ne doit pas représenter un obstacle conséquent. A moins qu'elle ne soit restée bloquée à cet âge dans sa tête également. Sérieusement, même si Oskar est foncièrement insupportable (sans compter que ses pulls sont carrément affreux, dans le genre infâme on fait difficilement pire) il reste néanmoins assez pathétique pour que cela soit vraiment triste. On pourra également reprocher au film une certaine lenteur qui en rajoute à l'atmosphère déjà pesante. Cependant ce n'est pas une lenteur lénifiante et le calme ambiant permet de faire ressortir les rares mais puissantes scènes d'une âpre férocité. Le jeu d'acteur est globalement bon et je retiens tout particulièrement les deux gosses sans qui le film ressemblerait complètement à autre chose, et certainement à quelque-chose de moins bien. L'ambiance sonore est bien gérée, très réussie quand elle reste sobre mais qui des fois a tendance à en faire un peu trop. Le contraste avec la sobriété, voire le minimalisme du reste est assez dérangeant et casse un peu l'atmosphère. Mais là c'est pinailler.

Odobenus rosmarus est sans aucun doute un bon film, mais il lui manque ce petit quelque-chose que fait les grandes œuvres. Il regorge de trouvailles ingénieuses et de bonnes idées plutôt bien exploitées. Et surtout ce film a quelque-chose d'intéressant à raconter, ce qui devient de plus en plus rare... Quoi qu'il en soit voir des chats humilier un vampire comme ça c'est juste hilarant, une bonne humiliation en règle comme on les aime.

Sinon juste une question : diantre, mais que branle la police bordel ?

* Dans l'idée d'une relation amoureuse entre deux pré-adolescents j'ai trouvé un certain degré de ressemblance avec l'amour de jeunesse entre Humbert et Annabel dans Lolita de Nabokov, en particulier au niveau du ressenti d'Humbert.

** Le fait de montrer uniquement les à-côtés de l'action principale fait penser au film Reservoir Dogs où le braquage est le sujet principal du film mais dont la perception est uniquement déterminée par ce qu'il s'est passé avant et après.
Brad-Pitre

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