"Get out of my house !" (100% spoiler)

Après Noé, son blockbuster biblique peu concluant, il était logique que Darren Aronofsky revienne à un cinéma plus personnel qui lui va à merveille, je pense notamment à Requiem for a Dream et Black Swan entre autre. C'est avec une sacrée brochette d'acteurs que le réalisateur livre son septième film, véritable mindfuck voguant entre le drame, le thriller psychologique et l’horreur.



I. Commencement et fin (?)



Le film s'ouvre sur un visage féminin brûlant, tout comme la maison qui l'entoure, mais un cristal remis sur son socle va effacer toute cette horreur, ces cendres, comme si de rien n'était... C'est là où Mother se réveille.


On suit donc un couple vivant dans une belle maison isolée, entièrement rénové par Elle, Jennifer Lawrence. Lui (Javier Bardem) est un écrivain en terrible manque d'inspiration. Chacun a sa névrose : lui, l’écriture, elle, la maison. Cet équilibre cède après l’arrivée d’inconnus particulièrement bizarres (Ed Harris et Michelle Pfeiffer), accueillis à bras ouverts par le romancier. La jeune femme voit les invités comme une menace contre le bien-être qu'elle a instauré dans sa maison, si tranquille jusqu'à présent.


Les choses ne vont pas en s'arrangeant lorsque les deux fils du couple d'étrangers débarquent et que l'un deux tue accidentellement l'autre lors d'un conflit lié à leur héritage. Dans un même temps, Mother commence à ressentir des choses bizarres, comme des étourdissements, et une fissure ensanglantée plutôt étrange apparaît sur le plancher dans la chambre d'ami.


Le tout est filmé du point de vue de Mother, on suit tout à travers ses yeux, la caméra d'Aronofsky ne quitte pas une seule seconde Lawrence, sa muse; on comprends donc tout ce qu'elle ressent, son oppression et son agacement face à l'invasion d'étrangers dans sa maison, son oeuvre.


Peu de temps après, le couple se retrouve de nouveau seul et décident alors de faire un enfant. Mother tombe enceinte et Lui retrouve son inspiration en écrivant son plus beau texte. Cette idylle est une nouvelle fois bouleversée avec l'arrivée de la famille du défunt, puis celle de fans de l'artiste. Les choses virent littéralement au cauchemar, puis vient l'accouchement de Mother. Elle met au monde un petit garçon qui se fait rapidement confisqué et tué par des fanatiques ayant pris pris possession de la maison.


Inconsolable, Mother est en colère et décide de brûler la maison. Lui récupère le cœur de cette dernière et en retire un cristal, qu'il place sur son support. La maison renaît de ses cendres et dans le lit, une jeune femme se réveille, une jeune femme avec un autre visage. Une autre Mother (!)


Alors que peut-on tirer de cette oeuvre à la fois bouillonnante, diabolique, exigeante, effrayante, excessive, voire même surréaliste ?



II. Symbole de la création



La première heure rend hommage au Répulsion de Roman Polanski (dans lequel Catherine Deneuve bascule dans la schizophrénie et devient hantée par des bruits après le départ de sa sœur qui vivait avec elle). Ici, submergée par sa phobie des intrus, Mother (jouée par une géniale Jennifer Lawrence) sent son univers se dérégler, se fissurer. Le savoir-faire d’Aronofsky assure le spectacle et sa réflexion sur la vie conjugale comme prison pathogène intrigue. Mais ce n'est pas le but premier de son film.


Darren Aronofsky aimait prévenir lors de différentes séances dans lesquelles il présentait son oeuvre: il était encore temps de fuir avant que le carnage commence. Le cinéaste prévient car une fois lancé, il est impossible de fuir ce qui s’apparente plus à une expérience immersive et viscérale, qu’à un film linéaire classique. Il existe plusieurs interprétations de ce film, chacun répondra différemment à cette oeuvre mais il est indéniable d'extraire la CRÉATION comme thème principal de Mother!. On la retrouve à travers la construction de la maison mais également à travers la procréation; la grossesse et ses effets sont retranscrits à travers le personnage de Mother. De plus, la création d'une oeuvre artistique et son impact sur la vie d'un artiste, de ses proches et de ses fans est abordée via la détresse de personnage de Lawrence, elle se sent délaissée par son mari qui préfère son art à sa femme quitte à détruire tout ce qu'elle a construit. Comme le dit Mother à la fin du film, il ne l'aime pas, il aime le fait qu'elle l'aime, le personnage de Javier Bardem est égocentrique et se désintéresse complètement des biens matériaux et se focalise uniquement sur son travail, l'art est plus important que la vie comme le prouve son total détachement face à la mort de son fils.


Ces explications nous amènent à penser que le film va beaucoup plus loin et serait une sorte de relecture de la Bible. En effet, Lui serait Dieu créant un être (Mother) et un monde, un paradis, un jardin d'Eden (la maison) à l'aide du cristal, symbole de la création et du renouveau. Cependant, Dieu est miséricorde mais ne se soucie pas de ses créations, il n'intervient pas lors de leur destruction et préfère se réjouir de l’idolâtrie de ses fans. Les impeccables Ed Harris et Michelle Pfeiffer (cette dernière est littéralement bluffante, son regard et sa gestuelle sont parfaits) ne sont autre qu'Adam et Eve, destructeurs du cristal/du fruit défendu, accompagnés de leurs fils (Domhnall et Brian Gleeson) qui s’entre-tuent tels Abel et Caïn, des êtres humains qui pillent, détruisent et tuent. L’envahissement de la maison serait alors l'apocalypse, avec le théâtre fantastique de tous les maux contemporains : délinquance, misère, guerre, entassement de réfugiés, massacre, fanatisme, ultraviolence… jusqu'à la mort de leur enfant, référence à la mort de Jésus, fils de Dieu.


Cependant, le parallèle avec la religion n'est pas suffisant pour justifier l'oeuvre en elle même.



III. Pourquoi "Mother!" ?




Le titre "Mother!" ne fait pas référence aux mères en général, mais à LA mère, celle qui est sous nos pieds, la terre mère, la mère nourricière.



Darren Aronofsky a voulu aller encore plus loin, comme le montre cette phrase prononcée lors de l'avant première parisienne du film.


Outre les thèmes de la création, de la religion et de la vie de couple. le film est avant tout un regard sur notre monde, sur notre époque et sur ce que l'humanité est en train de faire à notre planète. Il se sert de Lui pour dénoncer la destruction progressive de la planète mère. Cette destruction est portée à l'écran à travers le trou ensanglanté sur le plancher de la maison mais aussi par la séquence apocalyptique du dernier acte, véritable défouloir du réalisateur, cauchemardesque pour Mother, presque insoutenable pour nous, spectateurs, afin de pointer du doigt les conséquences des actes humains sur notre planète.


Il est alors question de naissance aussitôt détruite par l'humanité (comparable aux ressources de notre planète qui s'épuisent à cause des hommes) montrant que la planète s'affaiblit petit à petit et peut-être qu'un jour, le cycle ne se répétera pas (disparition du cristal), le risque de fin du monde est bel et bien réel comme le montre la destruction de la maison par Mother, comparable aux catastrophes naturelles que subit notre monde.


En somme, Darren Aronofsky clôt son film sur une vision pessimiste de notre planète qui fait suite à une sorte d’allégorie radicale et ultra-barrée sur l’existence, le matérialisme, la religion, l’humanité et surtout la création. Mais il nous offre une expérience cinématographique viscérale et impressionnante bâtie sur un thriller horrifique intense, suffocant et hystérique, le tout sans musique, qui fut une décision du compositeur initial Jóhann Jóhannsson et du sound designer Craig Henighan. Les ficelles sont grosses, beaucoup de thèmes sont traités de façon parfois too much, mais Mother! est certainement l'une des œuvres les plus riches de cette année et du réalisateur, le genre de film qui vous reste dans la tête pendant (très) longtemps.

Thibox
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le 16 sept. 2017

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