Mud - Sur les rives du Mississippi par Claire Magenta

En compétition l'année dernière au Festival de Cannes, Mud de Jeff Nichols concluait la sélection officielle comme elle avait débuté, par un récit initiatique, après l'excellent et touchant Moonrise Kingdom de Wes Anderson, en ouverture de ce grand raout. Exit la Nouvelle-Angleterre et cette histoire d'amour entre deux adolescents, pour les rives poisseuses du Mississippi dans ce rough South étasunien en compagnie de white trash de l'Arkansas.

Ellis (Tye Sheridan) vit dans une maison flottante avec ses parents Mary Lee (Sarah Paulson) et Senior (Ray McKinnon) sur les bords du Mississippi. Un matin à l'aube, l'adolescent s'éclipse pour rejoindre Neckbone (Jacob Lofland), son meilleur ami qui vit seul avec son oncle Galen (Michael Shannon), pêcheur de perles. Le jeune garçon a trouvé sur une île du fleuve une épave de bateau perchée dans un arbre, « comme tombée du ciel », fruit de la rencontre entre une ancienne inondation et la forêt sauvage environnante. Décidés à en faire leur repaire, Ellis et Neckbone déchantent rapidement en découvrant parmi le capharnaüm de cette cabane de fortune des empreintes et de la nourriture. De retour sur la rive, ils rencontrent l'occupant de cette étrange embarcation suspendue. L'homme se prénomme Mud (Matthew McConaughey). Il vit caché sur l'île déserte, en attendant son amour de jeunesse Juniper (Reese Witherspoon), qui devrait le rejoindre très bientôt, avant de partir vers d'autres horizons. Les deux adolescents sympathisent rapidement avec cet inconnu superstitieux et tatoué, et grand amateur d'haricots en boite que lui donne volontiers Ellis. Le lendemain, Ellis et Neckbone reconnaissent, dans un supermarché de la ville, Juniper. De retour sur l'île, Mud leur demande alors de lui transmettre un message. Or la belle est surveillée par Carver (Paul Sparks), frère de l'ancien compagnon de Juniper, que Mud a abattu il y a peu...

Révélé l'année précédente grâce à son second film Take Shelter, Jeff Nichols s'inscrit d'emblée avec ce long métrage dans le sillage de ses illustres compatriotes Clint Eastwood et Terrence Malick (en particulier Badlands - La ballade sauvage). Située dans cette classe défavorisée blanche, dans une région non moins isolée et frustre, l'histoire écrite par ce jeune cinéaste de 33 ans évoque et invoque l'environnement d'un autre grand conte initiatique, celui de Charles Laughton, The Night of the hunter. Ces paysages forestiers lumineux, bordés par les eaux troubles du fleuve, deviennent le lieu de rencontre de ces deux Tom Sawyer / Huckleberry Finn contemporains et de ce Robinson Crusoe white trash. Une île à l'onirisme latent, semi-aquatique et semi-végétal, dernier rempart d'un jeune idéaliste qui sera vite confronté à la dure réalité du monde des adultes ; Ellis devenant le témoin des échecs amoureux et relations troublées des deux couples formé par ses parents, et celui de Mud et Juniper.

Loin d'être seulement le théâtre de l'innocence perdue face aux compromis de l'âge adulte, le film charrie également son lot d’ambiguïté, Mud laissant planer nombres de mystères sur sa personne. Regret de taille cependant, l'auteur fait côtoyer dans ce microcosme sudiste trop de personnages secondaires, au risque d'en diluer l'histoire et de rester à la surface. Michael Shannon interprétant l'oncle de Neckbone aurait pu gagner en épaisseur, tout comme le linéaire Mud, qui paradoxalement apporte peu. Les muscles et tatouage de McConaughey ne comble pas en effet la présence fantomatique et finalement creuse de son personnage. Mais un manque de profondeur à relativiser tant la plupart des adultes du film apparaissent sans véritable repère, brisés ou mélancoliques. Père à la dérive, vengeur, adoptif ou de substitution, les relations patriarcales sont dès lors le point névralgique du métrage.

Porté par ses deux jeunes interprètes masculins, le prometteur Tye Sheridan vu pour la première fois dans The Tree of Life de Mallick et Jacob Lofland évoquant quant à lui River Phoenix au même âge, le film progresse ainsi au rythme du Mississippi, sinueusement et lentement, avant son explosion finale. Nichols construit patiemment une tension qui voit sa conclusion par une violence, sinon prévisible, du moins attendue, offrant à ses protagonistes principaux un épilogue ouvert (à défaut d'être heureux).

Sans sa demi-heure de trop et avec un scénario un peu plus solide, Mud avait tout du classique. A voir pour sa beauté formelle Mallickienne et le jeune Sheridan.
Claire-Magenta
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le 28 sept. 2013

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Claire Magenta

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