Sur les rives du désenchantement

Bien que discret comme rare, Jeff Nichols semble s'être, mine de rien, bâti une filmographie faisant sa réputation : des prémices de son éclosion avec Shotgun Stories, puis l'oeuvre lui ayant valu plus largement la reconnaissance du grand public (Take Shelter) jusqu'au dernier-né Midnight Special, le nom du natif de Little Rock est aujourd'hui en vogue.

A présent, quel est le point commun entre ces trois long-métrages ? Eh bien... je n'en ai vu aucun, à contrario de sa troisième production par l'entremise de laquelle j'ai pu faire connaissance avec le prometteur Nichols : Mud (Sur les rives du Mississippi) ; pareil à l'opus de la confirmation à priori, ce solide récit porté par l'incontournable Matthew McConaughey est de fait une belle surprise, certes pas franchement transcendante mais pétrie de bonnes idées.

Entendons par là que le pan d'intrigue aux connotations thriller, auréolé au préalable d'un drap de mystère rapidement levé, n'est là que pour égayer la trame centrale, alors davantage arquée autour de tenants familiaux : sur ce point, Mud nous offre une partition poignante au moyen de son protagoniste principal, Ellis, figure éminemment crédible de l'ado confronté à un désenchantement croissant de son univers intime.

Campé par un Tye Sheridan ni plus ni moins excellent, Ellis s'apparente ainsi au véritable fer de lance du long-métrage, qui en profite pour nous dresser le portrait d'une belle brochette de personnages, le traitement plein de justesse de leurs différentes aspirations appuyant à n'en plus finir notre sympathie (voire empathie) pour ces derniers ; et, au milieu de tout ceci, la prouesse du long-métrage est d'insérer l'énigmatique Mud, sorte d'archétype du héros hors-la-loi malgré lui, mais dont l'approfondissement progressif va le révéler bien plus complexe qu'il n'y paraissait.

Sans jamais trop en faire, le film arbore une harmonie palpable entre ses différentes thématiques, aussi l'on passe aisément outre quelques accros tant l'ensemble s'avère cohérent ; sa prévisibilité latente est au bout du compte son principal défaut, tandis que la conclusion du volet "règlement de compte" fait presque brouillon, comme peut en témoigner cette fusillade au suspense chancelant.

Bref, on ne gâche pas notre plaisir tant Mud se pose comme un divertissement hautement plaisant, alors que Nichols prouve qu'il peut tout aussi bien assurer derrière la caméra qu'au scénario (chose dont il est coutumier du fait) ; reste que ses quelques (légers) errements (le personnage de Juniper m'aura laissé dubitatif) et une tension majoritairement aux abonnés absents semblent témoigner d'un potentiel à demi-consommé, ce qui est bien regrettable quand on voit avec quelle force ce menaçant divorce aura pu chambouler le principal acteur de la réussite qu'est le film.