Plus j'avance dans ma petite vie frétillante et palpitante (ouais, je sais...), plus je sens gagner en consistance. Ma pensée prend de nouvelle bases, des fondations qui me permettront un jour de structurer super bien ce que je dois dire, ressentir, ou éprouver. Je pourrais même devenir un adulte carthésien, carré, logique, comme mon papa.
Un adulte pour qui de telles déambulations scénaristiques n'auraient aucun intérêt et ne feraient que perdre mon intérêt pour le film.
Mais voilà, David est venu, a vu... et a vaincu.
J'ai vu Blue Velvet très tôt, il était sympa, sans plus (j'ai du le voir un peu trop tôt... ou alors c'est juste qu'il est pas si bien que ça après tout), puis, intéressé par le réalisateur de renom, je regarde Mulholland Drive vers 13-14 ans. Globalement, ça m'échappe. Je me rue sur internet pour tenter de comprendre, de trouver du sens (on y revient sans cesse...)
Puis, heureusement ou malheureusement, je comprends ce que veut faire Lynch à mon cerveau, alors j'oublie. J'oublie la forme, j'oublie les structures narratives, j'oublie comment Hollywood a formaté ma vision de spectateur. Je découvre Lynch passionement, avidement, au cours de mon adolescence, et Lynch marque ma vie. Il y peut rien le pauvre. Mais il a réussi, avec Kubrick, là où tant d'autres ont échoué.
Qu'a-t-il réussi? Personne ne sait vraiment. Si, dans les faits, c'est plutôt simple : il donne des pistes qui soit conduisent nulle part, soit partout à la fois ; il donne des indices qu'il faut soit prendre au pied de la lettre, soit considérer comme des fausses pistes ; il mélange pistes et indices sans que quiconque sache vraiment comment les différencier ; il donne des personnages qui sont soit ce qu'ils sont, soit ce qu'ils ne sont pas, voire ce qu'ils veulent être. Ah oui, et y a des rêves.
À partir de ce schéma, il y a ceux qui n'ont pas envie de jouer le jeu et qui décrètent le cinéma de Lynch incompréhensible donc forcément inutile ; soit ceux qui jouent le jeu, et qui ne repartent jamais avec la solution, mais, bien souvent, avec une myriade d'émotions nouvelles, que seul le cinéma, dans ces quelques instants de grâce, nous accorde.
On retombe évidemment dans les termes déjà employés quatorze mille fois par les fanatiques de Lynch aux quatre coins du monde carré : le cinéma de David Lynch se développe sur la corde des émotions, de l'inconscient et du non-dit plutôt que sur le concret, le résolu et le fini.
Personnellement, j'ai accompli l'odyssée lynch au cours de mon adolescence, et tout ça est devenu, au bout d'un moment, une évidence : j'ai arrêté de toujours chercher du sens partout. Et je commence à sentir le besoin du chemin inverse : parce qu'il y a l'aspect un peu vicieux de la chose : se réfugier dans le non-sens pour tout s'autoriser, parfois au détriment du plaisir du spectateur (Inland Empire, qui est bien mais qui parfois, touche cette limite).
Mais alors, dites-moi, bande de loulous entarbouchés, qu'en est-il de Mulholland Drive?
Ben c'est plus ou moins pareil. Il faut accepter de déconnecter la partie sensée de notre cerveau pendant deux heures vingt, rentrer dans l'univers de quelqu'un d'autre (celui de Lynch vous est ouvert, profitez-en) et apprécier l'expérience par le biais de notre ressenti.
Finalement, le seul mystère qui reste en suspens est la question de savoir comment Lynch a réussi à faire passer pour évident (pour moi comme pour d'autres) ce qui, avant lui, ne paraissait pas si facile. Un peu de génie, beaucoup de travail, sans doute. Peut-être un soupçon de méditation transcendantale. Et un zeste de café. Toujours du café.
Mais alors, dites-moi, bande de loulous entarbouchés assoifés de sang, qu'en est-il vraiment de Mulholland Drive?
Alors en vrac y a une fille qui disparait, qui se retrouve chez une autre, puis soudainement un clochard qui fait peur jaillit de nulle part, c'est vraiment la merde, en même temps y a un mec qui veut produire un film mais comme c'est un soumis il peut pas choisir son actrice, il commence à avoir quelques emmerdes, notamment de la part d'un cow-boy qui vit debout dans un ranch au milieu du désert; entre-temps les deux héroines changent d'identité, puis baisent évidemment, et elles se retrouvent happées par un cabaret... et là, silencio. Silencio, parce que les mots n'ont rien à dire à ce moment-là du film. Le sublime est indicible.
BREF
Merci Papa Lynch, merci pour Mulholland Drive, pour cette séquence incroyable du Silencio, pour ce monstre derrière le mur, pour ces vieux qui font peur, pour cette ouverture terrible, pour ce plan final, pour ces choix musicaux quasiment parfaits...
Un dernier film et tu peux mourir en paix.