La comédie musicale My fair lady est l'une des nombreuses adaptations du mythe de Pygmalion et de Galatée. Il prit naissance chez Ovide, poète latin né en 43 av.J.C. et mort en 16, dont l'ouvrage Les métamorphoses traite du mystère de la création artistique et exalte le pouvoir de l'art. Celui de l'artiste qui modèle son oeuvre et découvre, avec émerveillement, qu'elle prend vie. La métaphore de la statue devient un idéal à atteindre, le vivant invité à imiter l'art.

"De retour chez lui, l'artiste va vers la statue de la jeune fille. Penché sur le lit, il lui donne un baiser ; il croit sentir que ce corps est tiède. De nouveau, il en approche sa bouche, tandis que ses mains tâtent la poitrine ; à ce contact, l'ivoire s'attendrit ; il perd sa dureté, il fléchit sous les doigts, il cède. (...) L'amant reste saisi ; il hésite à se réjouir, il craint de se tromper ; sa main palpe et palpe encore l'objet de ses désirs ; c'était bien un corps vivant ; il sent des veines palpiter au contact de son pouce. Alors le héros de Pathos adresse à Vénus de longues actions de grâce ; sa bouche presse enfin une bouche véritable ; la jeune fille a senti les baisers qu'il lui donne et elle a rougi ; levant vers la lumière un timide regard, elle a vu en même temps le ciel et son amant."
Les métamorphoses - Pygmalion - Livre X

Le mythe connut une fortune exceptionnelle tant picturale que littéraire. Bernard Shaw, le dramaturge irlandais, écrivit un Pygmalion en 1912 qui eut un grand succès et fut à l'origine de la comédie musicale créée à Broadway en 1954 et reprise à Londres en 1958. Le décalage est grand entre le mythe original et l'histoire d'un professeur de linguistique de réputation internationale, snob et misogyne, Henri Higgins qui, par amusement, parie avec l'un de ses amis le colonel Pickering, de faire d'une marchande de fleurs inculte, aux manières grossières et à l'épouvantable accent cockney, Eliza Doolittle, une dame de la haute bourgeoisie, capable de briller dans les mondanités. Il y parviendra, mais l'élève dépassera le maître et il perdra cette femme qu'il avait modelée à son goût et à sa convenance.

A partir de ce scénario, Alan Jay Lerner et Frederick Loewe vont écrire un livret et une partition musicale pleins de charme et de fantaisie qui feront fureur sur les scènes américaines, puis anglaises. Ayant assisté à l'un des spectacles, George Cukor eut l'idée d'en faire un film à grand spectacle, avec une mise en scène fastueuse et des vedettes capables d'attirer les foules dans les salles obscures. Rex Harrison, qui avait déjà joué sur la scène de Broadway, fut de nouveau choisi pour tenir le rôle du professeur Higgins et lui prêter sa distinction, son élégante désinvolture, sa coquette ironie. Il est parfait dans ce personnage qui lui va comme un gant. Par contre, Audrey Hepburn, sur laquelle George Cukor jeta son dévolu pour interpréter la petite marchande de fleurs Eliza, ne correspond pas du tout au modèle. Et c'est là où le bât blesse. En définitive, la performance demandée à l'actrice n'est pas celle de changer une fille des rues en aristocrate, mais de se changer, elle, la déesse, en souillon. Et le contre-emploi est ici trop énorme. Le naturel revenant au galop, malgré le talent, la souveraine classe de l'actrice perce à chaque instant sous les haillons de la pauvrette.

Pour cette raison et pour d'autres encore, je n'ai pas totalement adhéré à ce film. Certes, il y a des scènes magnifiques et Audrey Hepburn, par la suite, nous enchante de sa grâce et de son charme ; la mise en scène est somptueuse mais souvent cède à l'exubérance, si bien que l'on a l'impression de se trouver dans l'arrière-salle d'un antiquaire ; les costumes sont eux aussi surchargés et la délicieuse Audrey - qui n'est jamais si belle que vêtue d'une simple robe noire de Givenchy - ploie sous les fanfreluches, rubans, babioles de tous genres, comme une icône orientale. Beaucoup ne seront pas de mon avis, mais je dis les choses comme je les pense.

La scène du bal reste pour moi le vrai moment inoubliable. Le professeur Higgins ( Rex Harrison ), découvrant son chef-d'oeuvre et éprouvant, pour la première fois, une réelle émotion - qui met à mal son cynique pari - est superbe. Mais il n'en reste pas moins que cette pâmoison de beauté finit par lasser au bout de 2h40. Le film fut néanmoins récompensé par 8 oscars et 3 golden globe. Il est vrai qu'il avait coûté très cher et que la quête de la beauté est toujours un argument valable.


" Pour moi - affirmait Cukor - My Fair Lady est une pièce avec de la musique. Si j'avais pensé à My Fair Lady comme à une comédie musicale, je ne l'aurais pas adaptée."

Il décide par conséquent de tourner le film en continuité, selon la montée dramatique de l'intrigue, afin de suivre au plus près l'évolution du personnage d'Eliza, déclarant à ce propos : " J'ai essayé de faire d'Audrey Hepburn une Eliza telle que l'a conçue Edgar Shaw ; la digne fille de son père, une force de la nature, déchaînée, et libérée de toute entrave, douée d'une intelligence encore en sommeil, et qui s'éveillera peu à peu. Elle comprend alors que son antagoniste cache sous une carapace rebutante une nature d'élite".

Cukor déclare par ailleurs : " Je n'ai pas cherché à modifier My Fair Lady. C'était parfait à la scène. J'ai tenu à conserver l'aspect théâtral de certaines scènes, comme le numéro d'Ascot. Tout le film est naturellement très stylisé. Cela le devait, c'est un film musical. Gene Allen s'occupa des décors, laissant les costumes à Cecil Beaton qui est un spécialiste de l'époque edwardienne. La pièce était en fait inspirée non pas de l'oeuvre originale de Shaw mais du film de 1938. Ce qui m'a le plus intéressé est le fait que c'était moins une intrigue amoureuse et romantique qu'un affrontement de mentalités".

Effectivement, tout semble opposer le monde glauque qui hante le marché de Covent Garden et cette haute société post-victorienne qui se plaît aux courses d'Ascot et dans les bals à la mode. Le tournage ne sera pas pour autant idyllique, en raison de l'antagonisme qui existe également au sein de l'équipe, entre Cukor et Beaton. Cukor va très souvent succomber, comme nous, sous une avalanche de bibelots et de fanfreluches. Mais le film reste malgré tout une réalisation somptueuse, sinon pompeuse, et le charme d'Audrey opère, dès qu'elle est chargée d'illustrer la jeune femme, plus idéale encore que le rêve de son mentor. La musique est jolie, les voix agréables à entendre et, pour sûr, on n'a pas lésiné sur le luxe. Alors ne boudons pas notre plaisir et oublions, autant que faire se peut, le poids souvent exagéré de cette trop parfaite reconstitution d'époque, pour laquelle - ai-je lu quelque part - les tapis d'Orient de la demeure des Higgins furent reteints pour parfaire l'harmonie des couleurs.
abarguillet
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le 25 sept. 2013

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