De ses 4 à 12 ans, la petite Eva Ionesco est en proie à une mère capricieuse, autoritaire et idéaliste, qui décide de faire d'elle une créature photographique, une véritable « enfant-asme » d'un érotisme lugubre. Incisive et malsaine, cette mise en images par la victime même fait le procès de ces années infernales, auquel l'on assiste stupéfait, mais aussi où, paradoxalement, le spectateur n'a pas sa place.

Détruire jusqu'au dernier les clichés dénudés que sa propre mère a capturés d'elle. De sa lutte sans fin pour réapprivoiser son image, Eva Ionesco remonte aux racines du mal, à cette figure maternelle parasite qui la sacrifia sans vergogne sur l'autel de l'art. Du corps d'Isabelle Huppert émanent les traces de cette femme bipolaire, terrorisée par son inévitable solitude, obsédée par la postérité de son art, et ce envers et contre tous les devoirs que tente de lui imposer la société. Par le prisme de l'appareil photo, Violetta devient la glaise de son monde freudien, peuplé de crucifix et de talons aiguilles. La première moitié du film caractérise particulièrement cette attraction forte entre les deux personnages, puisqu'elle met en scène le processus par lequel Violeta se fond dans l'idéal esthétique de sa mère. Par de fugaces détails (un caraco en dentelle, des cheveux oxydés, une couche de rouge à lèvres, une cigarette), Violeta court après ce regard tant aimé, mais qui n'est déjà plus tout à fait le même. Quelques très rares minutes laissent encore voir, en contrejour, la possibilité d'un amour défectueux, mais d'un amour tout de même, chez ce monstre commis d'office qu'est Hannah ; par exemple lorsqu'elle promène les yeux avec sa fille, munie de jumelles, sur le cimetière voisin en souriant, « voilà notre télévision, ma chérie. » Néanmoins, c'est bien la haine qui se profile dans l'engrenage des photos ( «écarte un peu plus les jambes», «juste un peu plus, fais un effort Violetta», «tu as faim ? tu mangeras après les photos» ), obtenues au chantage affectif et à la manipulation - thème charnière de la seconde partie du film, celle qui voit s'affronter face à face ces deux reflets confus, dépouillés de personnages secondaires.

Malgré une transposition de l'univers maternel très réussie (costumes exubérants, musique entêtante), la fibre autobiographique du film tend à en restreindre les enjeux narratifs à un document à charge difficilement lisible aux yeux du spectateur. My little princess, oeuvre thérapeutique et subjective, n'éclaire pas tous les possibles que lui offrait son improbable scénario : la perversité d'un monde de l'art sans valeurs ni principes, l'ambiguïté psychologique de cette petite fille jetée en pâture à l'appétit lubrique des hommes, le rapport qu'elle entretient à cette maturité fictive. Le film effleure ces aspects sans jamais se défaire de ce dégoût viscéral, fil moteur du récit. Le résultat en est une autobiographie dérangeante, fervente, incandescente, mais qui ne parvient pas à matérialiser les ambitions essentielles de son propos, ni s'adresser directement au spectateur.
goldie
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le 1 juil. 2011

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