Une affiche esthétique, un titre accrocheur, une bande annonce prometteuse, des références maîtrisées, un sujet délicat et audacieux, un traitement intéressant et questionnant mais pourtant Mysterious Skin me laisse à côté de la plaque. Que s'est-il passé ?
Deux perspectives sont rassemblées par l'histoire mais divergent dans leur nature. Deux manières de fantasmer contournent une réalité active, violente, mémorable et troublante. Les deux personnages fonctionnent comme les éléments d'une illusions d'optique, comme deux lignes parallèles qui semblent se rejoindre ou comme deux lignes convergentes qui semblent parallèles. Dès lors tout me semble chancelant, je suis comme perdu, pris au dépourvu et je ne sais pas comment interpréter ce que je vois. Je suis troublé et c'est ce qui est admirable dans le film. En dépit de stéréotypes et d'une forme de familiarité avec des cadres fictifs ( celui très identifiable de la science fiction et celui plus incertain de l'esthétique grunge ) aucune prise définie ne semble s'offrir à moi. A la place c'est une réalité crue, une nudité tant physique que psychologique qui s'impose à moi comme étrangère mais indubitablement manifeste. Peut être est-ce là "la peau mystérieuse" : celle de Neil McCormick qui est présenté comme un personnage incompréhensible, radicalement autre, unique, captieux et fascinant ou celle de la main extraterrestre, inquiétante, à la surface des rêves de Brian Lackey ou celle de la vache morte retrouvé vidé de son sang et de ses organes sexuels ou celle, bien entendu, de l'entraîneur Heider ou encore celle - attention - de l'écran que l'on regarde ! Si nous sommes ménagés dès le début du film, amené contre notre gré dans une enquête qui nous intéresse, nous intrigue et nous aspire, en définitive nous faisons face à cette surface à laquelle on peut s'être habitué mais qui ne manifeste rien d'autre que son étrangeté. Il ne reste plus que la subjectivité pour prendre en charge, interpréter, fantasmer l'étranger et sa réalité. Nous sommes seuls avec le danger du solipsisme lorsque la morale exige qu'on le condamne et qu'on reconnaisse qu'au delà du vécu il y a le scandale de la violence.
C'est bien par le jeu avec la position du spectateur auquel se prête Mysterious Skin que je le trouve brillant : on est comme inclus dans les vécus de conscience des protagonistes et rejeté dans la position du témoin pour qui il y a scandale. Il y a alors, d'une part, possibilité d'une identification avec les victimes qui nous fait vivre le traumatisme de l'intérieur (par le personnage de Brian, le suivi de son enquête, l'accès que nous avons à ses visions) , d'autre part la position a priori de témoin que nous assure notre condition de spectateur, et enfin celle de sujet individuel qui se confronte à l'altérité absolue de l'individu qu'incarne Neil McCormick (qui apparaît nu plusieurs fois, qui agit singulièrement et duquel nous n'avons pas accès aux perceptions). Peut-être que cela relève de la demonstration des pouvoirs du cinéma. En fin de compte il y a cette indéfinition, cette difficulté de penser une position stable comme spectateur, de prendre en charge le sujet du viol (on reconnaît la souffrance, on se peut faire juge mais on ne peut pas parler à la place d'autrui).
J'ai donc trouvé ce film très fin, il opère des choses que je n'avais jamais vécu encore au cinéma : cette espèce de condamnation au trouble, à l'impuissance de qualifier son vécu de spectateur, à l'indétermination. Mais en dépit de tout cela je n'ai pas compris où Gregg Araki voulait en venir. Il y avait, pour ma part, trop de choses à la fois et rien ne prenait le dessus, trop de directions possibles : je n'ai su m'engager dans aucune et suis resté en dehors du film à moitié troublé à moitié indifférent. Le sujet du film est sensible et il est très réfléchi (peut être trop). Les scènes chocs m'ont simplement paru sordides même si je dois avouer que ce film est très intéressant. Il est vrai que le rythme est fluide, que les acteurs sont globalement bons et que l'esthétique est travaillée mais ce qui était censé m'accrocher au film ( les scènes chocs, le travail sur l'enfance, sur le rêve, la beauté des plans etc... ) m'a au pire dégoûté au mieux laissé dans un état de constatation froide de reconnaissance respectueuse du travail accompli.
Enfin, il faut dire que voir ce film n'était pas chose agréable et mes doigts ne suffisent pas à compter le nombre de litre de vomi qui se sont écoulés de ma bouche lorsqu'il a été question de fist fucking.