Il est difficile de s'exprimer sur Mysterious Skin en tant que film tant ses qualités s'appuient fidèlement sur le roman tragique dont il s'inspire.
La structure même du film, qui alterne entre les aventures sexuelles de Neil Mc Cormick, définitivement marqué par la relation qu'il a eu, enfant, avec son prof de Baseball, et la quête de Brian Lackey, en quête d'explications sur les certains trous noirs dans ses souvenirs, tout ça alterne à peu près de la même façon dans le livre.
La violence de certaines situations, le trouble aussi devant des passages cruellement réalistes, tout cela est dans le bouquin, et on aurait presque envie de hurler que Araki est une feignasse qui n'a fait que poser des images, pour finalement renoncer à montrer l'immontrable (on lui pardonnera, mais ceux qui n'ont jamais compris l'épisode de "la vache" peuvent se retourner vers le bouquin pour une amère remontée de bile quand ils remettront les faits à leur place au moment le plus inattendu...).
Ce serait cependant hypocrite, car mettre des images sur un sujet si lourd était un challenge énorme, à la limite de l'infaisable. Non seulement Araki transpose tout ça tranquillement, sans voyeurisme ni complaisance (ouf!), mais sans censure non plus.
Si évidemment si les scènes adultes/enfant ne virent pas au Larry Clark, Araki se permet de montrer ici un gosse heureux et couvert de cadeaux et d'attention par son amant/père. C'est même dans ces scènes qu'il excelle dans la mise en scène, en nous montrant un enfant rieur, sous une pluie de bonbons dans la lumière immaculée. Malaise, forcément...
... mais aussi réalisme cru ! Car toute l'histoire tragique de Neil Mc Cormick sera marquée par ces instants qu'il tentera de recréer en se prostituant auprès de tous les vieux moustachus de la terre, indifférent au danger, le sexe en guise de dope, et plutôt hermétique à l'affection que lui portent ses proches, qui sont au mieux des amis, mais jamais des partenaires. Pour Neil il semble impossible de remplacer la prime expérience, prise en référence sans doute car subie et jugée trop jeune pour être considérée avec l'horreur qu'elle mérite.
L'histoire de Brian diffère complétement, mais reste une fois de plus terriblement réaliste. Brian lui, a enfoui son traumatisme et passera son adolescence à courir après la signification de ses trous de mémoires. Il recycle ses souvenirs éclairs en histoire d'extra-terrestre, et avancera à taton, par des rencontres, vers sa quête de vérité. Sa fragilité, sa nécessité d'oublier en font l'antithèse de Neil, gamin plein de confiance en lui qui assume et reproduit sans compassion les jeux appris avec un adulte.
Deux situations opposées donc, mais qui glacent par leur évidence (car les pédophiles ne trainent pas avec des sucettes et de longs couteaux planqués dans leurs impers, à la sortie des écoles) et font naître la même compassion pour le spectateur malgré la beauté factuelle des images.
Alors pour conclure, bien sûr il est gênant d'écrire une critique et de se dire qu'en fait elle ressemble à un résumé. Mais c'est sans doute le seul moyen d'expliquer la dureté et les émotions qui attendent le spectateur. Que j'invite une fois encore à lire le bouquin si il a survécu à l'expérience du film, mais seulement dans ce cas.