Mysterious Skin me fait penser à ce poème de Hughes Mearns (“As I was going up the stair / I met a man who wasn't there. / He wasn't there again today / I wish, I wish he'd go away”) dans ce qu’il parle, avec ces mots d’enfants, simples et déchirants, de cette présence d'une absence qui semble être née du déni, cet oubli qui hante la mémoire et dont on voudrait se libérer, comment ce fantôme du passé contamine le présent.
Mysterious Skin est une blessure, celle de ses deux héros magnifiques : Neil et Brian. Ils étaient ensemble quand cette plaie s’est ouverte comme une source de peine, érodant l’innocence, le sens de la vie, le bonheur, jusqu’à ce qu’ils soient séparés par le précipice qu’elle a finit par former, les laissant chacun sur les rives de cette blessure béante, de part et d’autre de la douleur. L’un, absent à lui-même, tentant de rejoindre l’autre rive pour y comprendre pourquoi il saigne encore d’une blessure dont il ne se souvient plus. L’autre toujours sur le point de plonger dans ce gouffre, comme poussé par l'envie morbide de retourner constamment à la source de son mal.
Araki nous fait suivre leurs histoires le long de ce drame commun qui s’écoule comme un fleuve, pour nous laisser là où il se déverse, là où Neil et Brian se rejoignent enfin, dans cet océan de la mémoire et de la douleur.
Baignant dans une magnifique ambiance de shoegaze, cette pop malade, massacrée et noyée, totalement en phase avec son sujet, Mysterious Skin nous fait errer dans les ruines d’une enfance, engloutie sous la surface de deux prodigieux acteurs (Joseph Gordon-Levitt crève littéralement l’écran, Brady Corbet est touchant dans un rôle très difficile), dans une forme de recueillement triste.
Tendre autant que brutal, romantique et désenchanté, Gregg Araki signe l’un des films les plus poignants sur cette enfance abîmée. Peut-être le plus beau depuis Fire Walk With Me.