Chef-d'oeuvre méconnu et complètement introuvable de Robert Altman, Nashville suit le parcours d'une vingtaine de personnages à travers le milieu du show-biz et de l'industrie musicale, avec pour fil d'Ariane... l'Amérique.
Car c'est de ça dont il est question dans Nashville, partout et tout le temps : ce gros pays plein aux as qui ne sait plus quoi faire de son argent, de son peuple et de sa culture.

oeuvre chorale particulièrement complexe puisque sur la foule de personnages que le spectateur suit pendant 2h40, aucun ne semble sous-traité, ou être placé là pour du remplissage. Chacun a sa vie, son caractère, et les rencontres entre les uns et les autres se font soit dans la violence, soit dans l'hypocrisie, soit dans l'insouciance. D'où l'impression d'un chaos insaisissable où le spectateur n'aurait rien à quoi se rattacher :
- les personnages sont des ploucs, des cowboys qui attendent que le temps passe ou des "artistes" imbus d'eux-même
- les idées reçues et les lieux communs trottent dans la tête de tous, comme si les démons récurrents du racisme, du klan et de la violence grouillaient sous la surface remplie de paillettes
- la propagande politique (le camion qui traverse la ville et que tout le monde est forcé d'écouter sans s'en rendre compte) est confuse, insipide, grotesque (but who cares, quand les gens sont matraqués de pub à longueur de journée).

Le film est réalisé de façon exemplaire : j'ai été vraiment frappé par la richesse de la mise en scène qui foisonne de détails, et surtout l'audace de compter sur l'intelligence du spectateur pour prendre de la distance avec ce qu'il voit : une tête idiote par-ci, un geste maladroit par-là... tout est montré, rien n'est laissé au hasard, mais rien n'est forcé. On est pas loin de la méthode de Tati dans Playtime, et ce n'est pas pour me déplaire.

Nashville n'est pour moi, rien d'autre qu'un spectacle morbide, celui de la vie privée et publique de ploucs déguisés en mannequins. C'est drôle et affreux à la fois.

Pourtant, à aucun moment on n'a l'impression que Altman se sert de son film pour souligner un message ou pour se moquer de ces gens : l'ambiance live, le jeu naturel, égal de tous les acteurs nous fait pénétrer dans ce monde en direct, et nous fait balader avec une virtuosité dingue de la scène aux bars, de l'hôpital à la route, en se servant de ce qui fait l'Amérique pour transition : les voitures, le public, les paillettes.

Par conséquent, on se retrouve face à des plans quasi "réels", les gestes, les dialogues semblent piochés dans la réalité puis transposés à l'état brut devant la caméra - tant rien ne se dit entre les gens, tout se devine par des mouvements de tête, des regards indiscrets, des moments de gênes qui sont autant de délices de mise en scène pour le spectateur averti.

Alors tout semble si vrai... et si inconcevable pourtant.
Est-ce bien ça l'Amérique profonde?
Sommes-nous encore sur Terre?

Nashville est un film éprouvant si l'on accepte sans entrave la critique acerbe dilapidée dans chaque image, chaque dialogue. On en rit jaune au début, et on en rit noir à la fin, sous le choc d'un humour aussi violemment féroce, et pourtant... si fragile et instable (je parle de l'humour comme je parlerais d'un aigle blessé, c'est dire à quel point cette parenthèse est inutile).

Alors si, il y a bien ce personnage de la journaliste de BBC, sorte de hippy encore dans l'illusion, avec ce visage tellement adorable, cette curiosité enfantine et cette insouciance charmante... et ces idées reçues insupportables, ces préjugés presque racistes...

La souffrance ordinaire des moyennes gens côtoie l'orgueil extraterrestre des "riches", et à aucun moment l'on ne se sent témoin d'une harmonie entre les classes... Quoi, la musique? Moyen d'harmonisation des classes?
Franchement... Comment peut-on encore avoir de l'empathie pour le country après avoir vu Nashville ! Tout sonne faux ! Les groupes sont toujours les mêmes, les chanteurs sont lissés par leur manager pour n'être que des marionnettes sirupeuses, des objets à la merci du public ou des icônes à qui on ne demande rien d'autre que de monter sur scène pour faire plaisir aux ploucs ! Puis Altman fait tout pour que l'on sente dégouliner l'argent. Partout. Et ce, même sans le montrer concrètement. L'argent est la cause et la conséquence de l'industrie musicale. La musique? Bullshit.
A part ce gospel, peut-être, indépendant de ce monde, que personne ne semble remarquer - et qui constitue pourtant l'une des rares ouvertures du film vers un ailleurs plus doux. (et encore, on sait pas trop.)

Petit à petit dans le film, on s'engouffre dans des situations de plus en plus perverses, fausses, mauvaises, voire carrément glauque : le strip-tease forcé. Le couple marié qui s'auto-trompe mutuellement sans en avoir vraiment conscience.

Tout nous inspire le dégoût dans Nashville... jusqu'à la séquence finale.
Époustouflante tant les émotions contraires nous submergent : surprise face au choc, bonheur apparent du gospel, fragilité de la voix de la chanteuse et de cette musique qui sonne faux, et surtout cette impression de crachat immonde sur une Amérique décadente, où tout s'écroule sans cesse dans l'indifférence populaire la plus abjecte.

But, who cares !!! THIS IS AMERICA, BOY !!!!
Garfounkill
9
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le 22 juil. 2011

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Garfounkill

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