Premier grand succès de Frank Capra et premier opus notable de la screwball comedy (comédies « loufoques » américaines, parfois éprouvantes – comme La dame du vendredi de Hawks en 1940), New York Miami a fait de l'ombre aux autres contributeurs originels (tels que The Thin Man de Van Dyke ou The whole town's talking de John Ford). Il est aussi considéré comme le premier road movie américain ; sa présence au cinéma refléterait une tradition américaine et des films phare comme Le Magicien d'Oz (1939) ou Les raisins de la colère (1940) en seraient eux aussi l'expression. New York Miami réalise une rafle à la remise des Oscars en 1935. Il établit le premier record en emportant les cinq principales récompenses ; il faudra attendre 1976 et Vol au-dessus d'un nid de coucou de Forman pour égaler cette performance (Le silence des agneaux ré-édite l'exploit en 1992).


Clark Gable, dont la carrière est marquée par des tandems avec les actrices les plus starisées de l'époque (les plus importantes collaborations étant celles avec Joan Crawford et Myrna Loy), rencontre ici Claudette Colbert (Cléopâtre, La Baronne de minuit). Lui est l'acteur le plus fameux depuis l'avènement du parlant (suivront sous peu Les révoltés du Bounty et Autant en emporte le vent), elle s'apprête à voir sa carrière exploser. Dans sa fuite, la jeune héritière d'un millionnaire hostile à son mariage écervelé se trouve embarquée dans une randonnée à travers le pays, accompagnée d'un journaliste au chômage (car doublé d'un rebelle). Ils semblent se trouver collés l'un à l'autre par une succession de mauvais concours de circonstance ; elle apprécie cet excentrique un peu rude, lui poursuit son scoop, chacun fait semblant de snober l'autre (braqué derrière sa dignité ou son impératif professionnel).


Du point de vue du spectateur, c'est un jeu de dupes à la tournure prévisible – sans compromettre son charme. Après tout il ne s'agit pas de ménager un quelconque suspense, mais de bien d'enrichir un manège rythmé et insolent (l'ère du pré-Code s'achèvera dans quelques mois, avec l'application du Code Hays le 1-07-1934). Si la screwball comedy est souvent tenue comme un ancêtre de la comédie romantique US standard de la deuxième moitié du XXe, ses personnages se veulent beaucoup plus progressistes, ou au moins émancipateurs. Capra nuance ces tendances avec une ode implicite à l'art de vivre de l'Amérique 'profonde' (ré-affirmée catégoriquement dans L'Extravagant Mr Deeds en 1936) et un culte (déclaratif au minimum) de l'authenticité. Sa candeur volontariste triomphe, les principes éternels prennent une tournure douce et moderne, le mariage de raison (ou de passion crétine) est contrarié au profit de l'idéal du mariage d'amour, comme l’Église et les anti-bourgeois y aspiraient.


Malgré sa réputation presque mirifique et les responsabilités immenses qui lui sont prêtées, New York Miami est plus proche de la gaudriole maline et sophistiquée que du magma créatif et génial. C'est plutôt un avant-goût des produits où Capra entend discourir et émouvoir (Mr Smith au Sénat, La vie est belle), avec ici une attention accrue mais superficielle pour les petites réalités ordinaires (on se sent sortis des studios ; d'ailleurs le succès du film est dû au bouche-à-oreilles, pas à une sortie en grandes pompes). Les dialogues sont à cette image, souvent acides (scène d'introduction de Gable au téléphone – le début d'Arsenic, tourné en 1944 par Capra, semble quasiment copier celui de NY Miami) et même subversifs (le « mur de Jéricho » terminal), patauds et redondants à d'autres moments (le fiel de Warne tourne court malgré sa vigueur). La réalisation est assez conventionnelle, les moments nocturnes plus poétiques et la route vers New York (sauf le passage chez les rebuts sociaux ou la fameuse séquence de l'auto-stop) pas toujours loin du théâtre filmé. Cependant l'influence exercée sur des œuvres ultérieures, même indirecte ou inconsciente, est importante : Vacances romaines de Wyler (1953, soit après la 'mort' de la screwball comedy) tire un postulat équivalent vers le conte.


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le 4 déc. 2015

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