Critique : No Pain No Gain (par Cineshow.fr)

Depuis 2007, Michael Bay est totalement et quasi uniquement associé à la saga Transformers. Une saga en forme de point culminant du blockbuster décérébré, où les explosions, les robots gigantesques, les filles aux formes généreuses, et les scénarios aussi fins qu’un papier à cigarettes se côtoient dans un grand balai pyrotechnique franchement hallucinant. Pourvu que l’on soit client, le spectacle est souvent au rendez-vous. Mais l’on aurait tendance peut-être un peu trop vite à oublier le parcours du bonhomme et notamment ses débuts durant les premières années de la décennie 90. Car si les cyniques adorent cracher sur Michael Bay parce que cela fait bien en soirées mondaines, c’est tout de même à lui que l’on doit l’excellent film d’action The Rock avec Sean Connery et Nicolas Cage, Bad Boys 2 qui se posait quand même bien là en terme de spectaculaire, ou encore le plus « sérieux » The Island, injustement décrié à sa sortie. Autant dire que même si le monsieur alimente son image de faiseur d’explosions (voir la pub tout en autodérision pour une marque d’internet), on est très loin d’avoir affaire à un yes-man et surtout pas à un idiot. Et si certains restent persuadés de ce dernier point, No Pain No Gain devrait remettre rapidement les pendules à l’heure. Négocié en échange d’un accord pour la réalisation de Transformers 4, No Pain No Gain se révèle être la plus petite production du cinéaste depuis le premier Bad Boys. Une liberté financière et artistique qui lui permet de faire aboutir un projet qui lui tenait à cœur depuis un bout de temps, et qu’il transcende d’un bout à l’autre en apportant d’un côté son indéniable talent dans la mise en scène testostéronée, et de l’autre un regard d’un cynisme incroyable sur le monde d’aujourd’hui. En d’autres termes, No Pain No Gain est une véritable petite bombe sortie de nulle part, certainement le film le plus personnel du réalisateur et un concentré de plaisir pur s’étalant sur près de 2h10.

Adapté d’une histoire totalement improbable mais vraie s’étant déroulée à Miami il y a 18 ans, No Pain No Gain aborde frontalement la notion de destruction du rêve Américain, une humiliation en règle motivée par la recherche de trois crétins à devenir la réussite incarnée. A ce titre, l’accroche sur le haut de l’affiche ne ment pas « Ils voulaient vivre le rêve Américain, ils l’ont volé ». Où comment un moniteur dans un centre de musculation a décidé que sa vie était trop petite, trop minable pour rester ainsi. Plutôt que d’essayer l’un des chemins classiques vers le succès, le kidnapping du voisin à la richesse un peu trop extérieure semble être la bonne solution. Un postulat absurde qui ne sera que le début d’une succession imbécillités toutes plus risquées les unes que les autres et qui, aussi incroyable que cela puisse paraître, parviendront à fonctionner pendant près de six mois. Si Michael Bay avait écrit le film sans s’inspirer d’une histoire réelle, on aurait largement ricané et ignoré tout cela. Sauf que tout ceci s’est réellement passé, ce qui confère au film une aura incroyable dans sa vérification par l’absurde du célèbre adage « tout est possible aux USA ». Avec ses trois musclors idiots comme c’est pas possible, et rappelant Schwarzi à ses débuts, Bay se moque de tout un système, un monde dans lequel le toc est devenu l’argument numéro un, et dans lequel toutes les pires déviances peuvent se transformer en atout marketing. Pas besoin d’être intelligent ou d’avoir les capacités, dès l’instant qu’on veut, on peut. Une réflexion naïve dans laquelle nous aimerions tous croire mais que la vie rattrape bien souvent au galop pour vous infliger une triple claque et un réveil douloureux. C’est un peu l’histoire de No Pain No Gain, la mise en images de types obnubilés par le culte du corps et ayant vu dans la pensée de Daniel Lugo (Mark Walhberg, le leader du groupe), une forme de génie. A leur manière mais surtout à leurs yeux, ils sont devenus de véritables entrepreneurs respectables incarnant à eux trois-là l’idéal américain.

Dans cette fresque étonnante et détonante, le plus surprenant est certainement la symbiose totale entre le fond évoqué, et la forme tout en ex-croissances. Le style clipesque de Michael Bay et ses tentatives de se la jouer « grand réalisateur » avec ses images saturées et ses incrustations en vidéo conviennent parfaitement à l’histoire, une adéquation quasi parfaite quoi que surement un peu involontaire, qui ne sera pas sans rappeler le cinéma d’un certains Tony Scott d’il y a 15 ans. Le rendu visuel est enivrant mais surtout extrêmement stimulant ! Dopé à la partition de Steve Jablonsky (lequel suit Michael Bay depuis un bon bout de temps), No Pain No Gain est un shoot d’adrénaline pas vain du tout, un pur produit de l’Amérique qui parvient avec cynisme à lever le voile sur l’artificialité de leur notion d’accomplissement. « Je suis fort, je suis musclé, je suis beau ». Tout est dit dès la première ligne de dialogue, tout le reste ne sera que démonstration visuelle et outrancière d’un Michael Bay rarement aussi inspiré. Et s’il n’avait pas été aussi touché par l’imbécillité presque émouvante de ses personnages, nul doute que son film n’aurait pas été efficace. Mais le réalisateur apporte une prise de recul salvatrice pour traiter un sujet qui mis en scène sans doute plus tôt n’aurait pas aussi bien fonctionné. Car derrière cette couche de comédie (d’action) bling-bling rappelant par de nombreux aspects le délire coloré d’Harmony Korine dans Spring Breakers, Bay propose une fable noire et cruelle sur des comportements probablement pas si isolés que cela, engendrés par une société qui ne pouvait que les pousser dans ce sens. Grâce à une dose d’humour fournie en quantité semi-industrielle, le réalisateur natif de Los Angeles parvient à faire passer comme une lettre à la poste les pires choses à l’écran, les vannes racistes et misogynes omniprésentes, la vulgarité récurrente, et les énormités provoquées par nos trois compères. Les passages de comédie pure foisonnent, l’humour de situation est utilisé à tour de bras et surtout, les acteurs parviennent à proposer des nuances de jeu absolument divines pour camper des personnages dont il aurait été facile d’aller dans la caricature. Mark Wahlberg est comme à son habitude impérial tandis que Dwayne Johnson est dirigé avec le même talent que Schwarzi dans ses meilleurs rôles, en créant un décalage perpétuel entre la puissance qu’il représente et son réel talent comique et d’autodérision.

Même si No Pain No Gain est parfois plombé par un rythme en perte de vitesse, l’expérience est tellement fascinante qu’elle ne peut qu’emporter l’adhésion des spectateurs, et se révèle encore plus savoureuse si on la replace dans le contexte du cinéma de Michael Bay. Le réalisateur souvent décrié parvient ici à prendre tout le monde en revers, montre qu’il n’est pas si dégénéré qu’on veut bien le dire et témoigne surtout d’une belle prise de recul sur l’Amérique aujourd’hui et l’impasse dans laquelle tout un monde semble se diriger avec un sourire grand comme ça. D’extérieur, le film peut paraître laid et outrancier, mais ce serait une grossière erreur que de le rejeter en bloc alors que l’on tient certainement l’une des plus belles ou du moins inattendues surprises de 2013.
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le 25 août 2013

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Mathieu  CRUCQ

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