Lost Highway
L’écriture peut être une arme redoutable dans la construction machiavélique d’une vengeance. Il est vrai que le pouvoir de la plume a cette manie de faire resurgir en chacun de nous les pires...
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le 14 janv. 2017
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Susan, une artiste contemporaine reconnue, reçoit un manuscrit d’Edward, son ex-mari, avec qui elle n’a plus de contact depuis 19 ans. Alors que son mari actuel part à New York pour ses affaires, elle commence la lecture du roman. Celui-ci nous raconte l’histoire d’une famille qui part, de nuit, en vacances au Texas…
Je vais être honnête, si j’ai peut-être entendu son nom quelque part, je ne connais pas Tom Ford, le réalisateur de ce film. La principale raison pour laquelle je suis allé en salle, c’est la présence de Jake Gyllenhaal au casting, qui est, selon moi, l’acteur le plus talentueux à l’heure actuelle. Une bande annonce vue en salle quelques jours avant la sortie du film et quelques affiches placardées dans Grenoble m’ont aussi convaincu d’aller le voir au cinéma.
L’ouverture du film donne directement le ton : des femmes obèses et nues dansent de manière assez festive sur une musique plutôt triste, à l’aide de violons ; le tout au ralenti, et avec différentes échelles de plan, qui se rapprochent au plus près de leur corps. Difficile de ne pas être mal à l’aise après ça. Et Tom Ford va continuer à donner une ambiance glauque à son film, non pas à l’aide de décors sales, mais par des environnements ultra-modernes, où chaque objet est parfaitement à sa place, tout est géométrique, parallèle, trop précis. Lorsqu’il utilise des plans larges, les personnages semblent agir en pantin dans ce décor, et ainsi perdre leur humanité. Cette esthétique oppressante m’a personnellement rappelé celle de Nicholas Winding Refen, et quelques images que de The Neon Demon que j’ai vu dans des bandes annonces.
Lorsqu’il change de récit, et qu’il s’intéresse à celui du livre, Tom Ford choisi quelque chose de bien plus naturel, en nous perdant dans les déserts du Texas. Il va, par exemple, commencer un plan avant que le personnage, que l’on entend, entre dans le champ, ce qui créé une recherche du spectateur, qui va scruter chaque recoin de l’écran à la recherche de mouvement. Outre ces plans naturels, il contraste avec la modernité de la réalité de Susan par des décors pittoresques, de la poussière, et une bestialité qui se dégage des personnages (j’y reviendrai quand je parlerai des acteurs).
Enfin, lors de flash-back, il se concentre plutôt sur les personnages, souvent par des plans plus rapprochés, pour nous montrer au mieux la nostalgie de Susan, et l’évolution de sa relation avec Edward, 19 ans auparavant.
Comme vous l’avez désormais compris, le film jongle entre trois récits : la réalité de Susan, qui change peu, et qui nous permet surtout de voir ses réactions par rapport à la lecture du manuscrit ; l’histoire du manuscrit qui représente le principal enjeu scénaristique du film, et quelques flash-backs qui nous résument plutôt efficacement la relation passée de Susan et d’Edward. Pour ne jamais nous perdre, le montage alterne entre ces récits par des positions, des objets, des situations : par exemple, une image du personnage de Tony, protagoniste du manuscrit, en train de pleurer dans sa baignoire, fait le raccord avec Susan, la larme à l’œil dans sa salle de bain. En outre, la découverte d’un corps, allongé sur le côté, va faire le raccord avec la fille de Susan, en train de dormir dans la même position, collée à son compagnon.
La réalisation est une réussite, le montage aussi, parlons maintenant des acteurs. Amy Adams, magnifique dans ce rôle, arrive parfaitement à jouer ce personnage nostalgique, qui va petit à petit être hanté par le manuscrit. On notera aussi un contraste plutôt intéressant entre sa réalité, où elle parle peu, se laissant porter, et son passé, où elle semble vouloir avoir un certain contrôle. Jake Gyllenhaal a quant à lui, la tâche ardue de jouer deux rôles différents : Tony, un père plutôt impuissant dans l’histoire du manuscrit, et Edward, un jeune écrivain en quête de réussite dans les flash-backs. Son pari est plutôt réussi, même si on ne retiendra pas son rôle dans ce film en priorité. La vraie surprise niveau casting est Aaron Taylor-Johnson, que je suis personnellement habitué à voir dans des rôles de gentils/beaux gosses, ou mourir dans Avengers : L'ère d'Ultron, et qui joue ici une raclure de la pire espèce, un individu sale, sans vergogne ni pitié. Ce rôle peut nous donner des perspectives quant au futur de l’acteur, que j’aimerai bien voir dans un rôle de tueur en série (oui c’est pas original, mais j’adore les tueurs en série), tout en confirmant son talent d’acting.
La musique est cependant plus oubliable, aucun thème ne m’a marqué, même si ceux-ci sont parfaitement utilisés. Niveau bruitage, nous pouvons retenir l’attention que porte Tom Ford à des sons du corps, comme des respirations ou des battements de cœur, qu’il utilise notamment pour lier les différents récits.
Le film souffre aussi de quelques longueurs, principalement lors de flash-backs, qui sont les scènes les plus simples du film, avec une recherche esthétique et sonore moindre. Cependant, c’est probablement le thriller le plus glauque que j’ai vu depuis longtemps, notamment grâce à ce savant mélange de nostalgie, d’oppression, et de bestialité. Si l’on peut aussi facilement remarquer quelques critiques par rapport à la société, comme lorsque Susan se rend sur son lieu de travail, je pense aussi que Tom Ford a incrusté dans son film une réflexion sur l’homme au sens large. Quoiqu’il en soit, ce film impose directement une esthétique qui restera très certainement parmi les meilleures en 2017. L'année commence bien, niveau cinéma.
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Créée
le 6 janv. 2017
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