Nocturnal Animals - Les Grandes Oeuvres sont Poreuses

Les grandes oeuvres sont poreuses. Elles offrent au spectateur, ou lecteur, ou auditeur, et que sais-je encore, la possibilité et l'opportunité plus ou moins grande ouverte d'observer le miroitement plus ou moins conscient et inspiré de son propre esprit, d'y regarder le tournoiement de ses propres émotions et aspirations. Au fond et en fait, si l'on peut toujours et aussi suivre avec attention et obéissance le propos supposé et présumé de l'auteur et créateur, on peut toujours et aussi appliquer son regard singulier à toute oeuvre pour lui donner un sens, pour le plaisir, pour la joie d'une unité révélée.


Ainsi en est-il par exemple du "Mulholland Drive " de David Lynch, dont beaucoup célèbrent en ce moment le retour à l'écran avec cette ultime et dernière saison de Twin Peaks, mais ainsi en est-il ici du deuxième film de Tom Ford, le ci-devant éblouissant "Nocturnal Animals" (octobre 2016).


Oeuvre d'art à son plus haut degré, comme il en est peu dans la sphère pourtant de plus en plus gigantesque du 7° Art, "Nocturnal Animals" est bien sûr et de façon frappante un défilé de photos éblouissantes, le spectacle sidérant de la maîtrise transfixiante pour le regard des mouvements et placements de la caméra, un montage mesuré, maîtrisé, lent et toujours vibrionnant d'émotions et d'interrogations constellées, une musique qui enveloppe et porte le récit tout du long comme on ferait d'une respiration, mais et plus encore, et certainement de façon égale, c'est un film qui ouvre en grand le foisonnement des lectures, des discours et des interprétations.


Et que telle soit ou pas la vision initiale du réalisateur et créateur, il arrive un moment où les grandes oeuvres ouvrent de grandes et larges ailes, prennent leur envol, et se mettent à naviguer au sein et au creux des myriades de courants d'air, et d'eau, de terre et de feu de nos imaginaires.


Ainsi, et peut-être est-ce là quelque spoiler (ou pas) qui s'en vient, et dont on s'empresse de prévenir le lecteur de passage, découvrant ce film fascinant et envoûtant, je décidai d'embrasser l'oeuvre dans son entier afin de lui donner sens et unité. Face à ce kaléidoscope virtuose d'émotions, de regards, de scènes même parfois insoutenables et choquantes, de couleurs et de regards, de silences et de cris comme chuchotés et hoquetés, et considérant que nous sommes à l'évidence les voyageurs plus ou moins hagards des rêves de nos propres existences, je décidai de faire mien ce tourbillon d'images et de sons pour me/vous raconter une histoire, celle du film perçu/vu/entendu à travers le prisme de celui que je suis en cet instant.


Et très simplement, l'héroïne avait un frère, éloigné et perdu de vue, sans doute bizarre et hallucinant, un reflet peut-être déformé et carrément fou d'elle-même, hurlant, vociférant et violant/massacrant en dehors de l'image, du côté du Texas sans doute. Un frère dont elle n'évoque l'existence qu'une fois dans le restaurant de ses premières amours, mais qui est régulièrement présent au creux de son esprit et même en grand à-plat photographique couché sur quelque mur de son immense et luxueuse demeure. Et ce frère devenu dément et violemment halluciné a rencontré son premier amour, son premier mari (quitté il y a 19 ans de cela) sur quelques très réelles routes de campagne, massacrant allégrement femme et enfant dans quelques très basses-cours de noires dimensions.


Et il arriva que son premier amour, devenu écrivain créateur et lui racontant/rappelant cette histoire au travers d'un manuscrit reçu et à lire (dans sa luxueuse et solitaire demeure), il arriva que notre héros masculin, décomposé et dévasté trouva un moyen de faire justice lui-même achevant bien et définitivement la démence fraternelle et le mal incarné.


Et nous obtenons là une tragédie de sang et de larmes, homérique, et à tout le moins tout à fait grecque, où se chante et se narre, en vers réguliers et sonnants, l'histoire sanglante, déchirante, furieuse et plus ou moins écarquillante (le regard ouvert, triste et fixe de l'héroïne en toute fin de métrage) de familles et d'aimants, l'un tuant le frère de l'autre après que le frère/démon ait assassiné et violé la famille de l'un.


Et nous voyageons dans la mer/mère immense des symboles, des archétypes et des lignes de forces qui agitent et sont le terreau de quelque insconscient collectif, voire même plus si affinités. Peut-être même partageons-nous là le processus créateur de l'écrivain qui inspira ce film. Peut-être même jouons-nous là à se faire entrechoquer et s'entremêler les constellations d'images et autres nébuleuses émotionnelles comme le ferait quelque créateur démiurge faisant tourner au creux de sa vision quelques myriades d'étoiles.


Le labyrinthe des débuts (le réseau des autoroutes vu du ciel) a pris corps et palpitations, déployant ses tentacules et ses petits d'hommes en une sorte de jeu de massacre et d'amours déçues, avec des femmes gigantesques qui flottent comme des ballons, et reposant ici et là telles des baleines échouées sur le marbre froid de quelque galerie d'art branchée. Et nous sommes là, de concert avec nos héros, le regard médusé par tant de beauté, de froideur, de chaleur, d'intelligence et de haine meurtrière.


Un chef d'oeuvre assurément, que le temps qui passe élèvera en quelque écrin d'éternité.


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ThierryBerton1
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le 2 juin 2017

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Thierry Berton

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