Si un film jugé « culte » n’a pas forcément pour vocation de plaire à tout le monde, il doit son statut à des qualités certaines qui lui ont été associées et qu’il semblerait insensé d’ignorer. Ici on parle d'un classique avec un grand « C » qui a une influence majeure sur le septième art.


C’est dans une République de Weimar fauchée, à court de moyens pour rivaliser avec un ogre hollywoodien toujours plus affamé, que l’expressionnisme s’immisce dans les travées du septième art. A défaut de moyens financiers, le cinéma allemand se dote d’une « patte » artistique en jouant sur la symbolique et sur les émotions des spectateurs. Ce mouvement est apparu au crépuscule des années 1910 avec l’excellent Cabinet du Docteur Caligari (1920) de Robert Wiene, et prit toute son ampleur dans les années 1920, avant de s’éclipser au début des années 1930. Si j’insiste sur ce point, c’est parce que Nosferatu est une figure de proue de ce mouvement, ainsi que du cinéma allemand, et du cinéma tout court, a fortiori.


La production ne parvint pas à avoir les droits d’auteur permettant d’utiliser le nom de Dracula, mais c’est bien le plus ancien film encore conservé à nous raconter l’histoire du vampire le plus célèbre de tous. Ce vieux film muet d’une heure et demie, oeuvre d’un cinéaste encore peu connu, pose les jalons d’un des genres cinématographiques les plus populaires aujourd’hui. L’expressionnisme se manifeste tout au long du film grâce à des procédés visuels très efficaces : gros plans oppressants, imagerie morbide, jeux d’ombres, le spectateur est happé par le sortilège et embourbé dans cette ambiance inquiétante et mystique.


Le film a été intégralement tourné de jour, mais le jeu de teintes utilisé par Murnau pour colorer ses pellicules, et les jeux de lumière donnent parfaitement l’illusion d’une alternance jour/nuit tout au long du récit, laquelle est essentielle à l’histoire pour mettre en avant les pouvoirs surnaturels du vampire. On pourrait aujourd’hui rire de son maquillage, mais cela le rend encore plus repoussant, et on ne peut baser une critique ou une analyse intelligente sur des points dépendant autant de l’époque où le film a été tourné, et des moyens dont il a pu bénéficier. La peur générée par le film est surtout suggérée : harcèlement, propagation de maladies, envoûtement, le spectateur n’a de choix que de subir cette terreur ambiante et irrésistible.


Il m’est difficile de rendre hommage à ce monument du septième art à travers un simple article comme celui-ci. Pour comprendre, il faut voir le film et s’immerger dedans. Chef d’oeuvre du cinéma muet, bientôt centenaire, Nosferatu sait toujours marquer son spectateur qui, tout ingénu, se laissera happer par le piège et, comme Hutter, l’infortuné agent immobilier, cherchera à tout prix à s’extirper de ce conte malsain et horrifique. Et si, finalement, nous étions tout simplement tous des Hutter, et Orlok l’incarnation de toutes nos peurs ? Je vous laisse méditer.

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le 13 oct. 2016

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JKDZ29

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