Quand on est en train de se forger une culture cinéphile et qu’on tombe complètement par hasard sur un coffret de 25 films de la RKO (des classiques et des plus confidentiels) pour seulement 30€ et que, dans ledit coffret, on a vu seulement l’incroyable Citizen Kane d’Orson Welles, on peut difficilement ne pas se laisser tenter. Autant le dire tout de suite, si tous les films de cette boite sont de qualité équivalente à The Set-up, cela augure quelques belles soirées dans les prochaines semaines.
L’histoire est simple : un manager vend la défaite de son boxeur, âgé et sur le déclin, pour assurer la victoire à un jeune boxeur en devenir qui veut s’épargner un combat. L’entraineur ne juge pas utile de mettre son poulain dans la combine, étant persuadé qu’il perdra de toute façon.
Par ce pitch simpliste, on se retrouve immergé dans un spectacle de marionnettes duquel personne ne distingue les ficelles. Le réalisateur nous livre ici une version moderne des jeux du cirque, où chaque américain se plaît à aller contempler des hommes se rendre des coups. Le héros veut gagner, pour sa femme qui n’a pas souhaité être présente. Elle au contraire, désespérée de voir son mari, défait à chaque combat, risquer sa vie dans une carrière anecdotique, cherche à s’en détacher et traverse le film loin de l’arène. Tout de son escapade nocturne, la rapproche du combat, et dénote l’attachement de l’Amérique à ces jeux.
Tous ces gens, riches ou pauvres, seuls ou accompagnés, hommes ou femmes, représentent différentes strates de la société, présentées dans un sublime plan séquence d’ouverture. Ils se contentent du spectacle offert, sans se rendre compte qu’il s’agit plus d’une parodie de spectacle. La donne change lorsque la marionnette prend conscience de son statut et refuse de l’accepter, et se persuade qu’il peut gagner un combat perdu d’avance. De cette émancipation naît une ferveur nouvelle. Le public revit, comme s’il n’avait jamais rien vu d’aussi vrai avant ce soir-là.
Cette ferveur est parfaitement retranscrite à l’écran par des plans centrés sur un échantillon de spectateurs, qui vivent littéralement le combat. Il n’y a pas de retenue. Autour de l’arène, tout le monde se ressemble, à l’exception des managers, dans les coins, qui sont motivés par des enjeux nettement moins sincères. Techniquement, le film est simple et en même temps brillant. Rien d’étonnant, alors que la présentation du film insiste sur le fait que Robert Wise a été le monteur de Citizen Kane. Tout est dit… De beaux plans séquences, de belles images, une atmosphère prenante. La passion ressort aussi du vestiaire, lieu de huis clos où les gladiateurs vont et viennent, discutent, partagent leurs rêves, leurs craintes, leurs souhaits, peut-être sans savoir que tout est déjà écrit. Et lorsqu’un personnage dévie du scénario qu’on a écrit pour lui, c’est lui qui doit en subir les conséquences, non l’auteur du coup monté.
Le dénouement du film montre que la notion de victoire est quelque chose de bien subjectif et que, pour gagner, il faut parfois être prêt à perdre certaines choses. Le titre français, peut-être moins sobre et efficace que le titre original, insiste d’ailleurs nettement sur cette morale. The Set-up est une preuve qu’on peut faire d’excellentes choses en restant très simple. Une belle victoire pour le cinéma.