Des premiers films aussi réussis, clairement, on en voudrait plus !

De Kheiron, on connaissait surtout des talents certains de stand-up et une propension aux remarques en dessous de la ceinture dans la série Bref(de Kyan Khojandi et Bruno – Navo – Muschio). Et voilà qu’au beau milieu de l’automne, l’humoriste débarque avec une comédie dramatique. Un premier long-métrage au casting cinq étoiles et à l’histoire inattendue. La sienne. Enfin, celle de ses parents pour être plus précis. Hibat et Fereshteh ayant fui l’Iran en pleine révolution, à la fin des années 1970, alors que Kheiron n’était qu’un bambin. Le film raconte alors l’activisme d’Hibat contre le Shah (sobrement interprété par un Alexandre Astier en grande forme), sa romance avec Ferestheh et toute les péripéties qui mèneront au départ du couple jusqu’à une nouvelle vie en banlieue parisienne et un nouveau combat à mener.


Disons le tout de suite, NOUS TROIS OU RIEN est très réussi. Intelligent, subtil et souvent émouvant, le film fait mouche. Qu’il s’agisse de moments « tire-larmes » assez bien ficelés ou de scènes plus drôles, NOUS TROIS OU RIEN passe du rire à l’émotion avec une aisance déconcertante. La raison : une pléiade d’acteurs excellents dans tous les registres. A commencer par Gérard Darmon et Zabou Breitman, les parents de Fereshteh à l’écran (Leïla Bekhti, très bonne également), à l’aise dans la comédie, notamment dans cette scène vendue dans la bande-annonce où Darmon prend un accent ridicule, et tout aussi bons dans le drame. Là, on pense à une séquence de conversation téléphonique silencieuse absolument glaçante. Le reste de la distribution est du même acabit. Citons entre autres Jonathan Cohen (vu dans Hero Corp ou Bref), très bon dans la peau d’un révolutionnaire sarcastique emprisonné ou encore Khereddine Ennasri, une des révélations du film. En ayant choisi des comédiens qui « savent vendre des vannes », Kheiron a aussi veillé à en trouver d’assez bon pour susciter l’émotion. Dans le processus, peut-être s’est-il un peu perdu. Car, si son jeu est loin d’être indigne, voire très bon par moments, Kheiron est aussi parfois en dessous dans le rôle de son père. Sans parler de la voix-off, pas toujours utile.


Son écriture, en revanche, évite assez bien la lourdeur. En équilibre entre le drame et le sourire, Kheiron scénariste est aussi un peu funambule. Avec beaucoup de talent, NOUS TROIS OU RIEN évite ainsi les pièges de gags lourdingues ou malvenus et ne sombre jamais dans la facilité du sanglot forcé. Avec des dialogues ciselés et pas trop cons, ici on rit de bon cœur et on chiale juste parce que c’est beau. Un peu à l’image de la vie, faite de joies et de peines. Dans sa première partie, en Iran, tout sonne juste. Les scènes de prison, le mariage, la fuite… Kheiron distille son histoire avec maîtrise. Même dans la deuxième partie, en Île de France, il esquive sans trop de difficulté les clichés de la banlieue et déroule un discours sur l’intégration assez bien vu avec force dialogue, médiation et effort commun. En rendant ainsi hommage à ses parents et leur dévotion pour la société (iranienne d’abord, puis française), Kheiron leur fait sans doute le plus beau cadeau qu’il soit à travers un conte humaniste magnifique à la portée universelle.


L’emballage, de son côté, ne brille pas malheureusement pas par son inventivité. Le cadre, les couleurs, le montage… Tout semble assez convenu. Juste joli. Sans plus. Et c’est frustrant. Car le talent est là. C’est peut-être injuste, mais entre son casting, son scénario et ses dialogues Kheiron met la barre tellement haute qu’on se surprend à attendre toujours plus. Sauf que la photo est simplement honnête et que la mise en scène se contente du minimum à base de plans fixes surtout peuplés par des personnages qui discutent. On voudrait plus de mouvement, plus de risque, plus de rupture avec un cinéma qui ronronne dans sa forme à la Nakache et Toledano… Cela dit, en remettant ces griefs à l’échelle d’un premier film dont l’auteur est également réalisateur et acteur principal, on se dit que c’est déjà pas si mal. Des premiers films de ce niveau, clairement, on en voudrait plus.


Car en résumé, même si NOUS TROIS OU RIEN ne renouvelle rien, il ne laisse pas de goût d’inachevé. Non, NOUS TROIS OU RIEN convainc pleinement. Peut-être parce que l’histoire d’Hibat et Fereshteh est aussi vraie qu’elle est extraordinaire. Peut-être aussi parce que ce récit de migrants résonne étrangement avec l’actualité et propose un regard utile sur les questions de fuite et d’intégration. Peut-être enfin parce que ça fait du bien, en France, de voir débarquer un feel-good movie pas trop con sur les écrans.


Critique par Etioun, pour Le Blog du Cinéma

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le 2 nov. 2015

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