Ce film déconcerte mais ne choque pas. Volontairement provocateur, Lars Von Trier signe avec ce film une œuvre forte où la pulsion et le désir sexuels constituent l’élément fondateur de la vie de Joe, le personnage principal. Le film s’apparente, par sa forme, aux Contes Des Milles et Unes Nuits. Une femme entre dans la vie de Seligman, un homme d’un certain âge très cultivé qui vit seul. Cette intrusion soudaine va permettre aux deux personnages de se découvrir mutuellement. C’est la rencontre des opposés dans ce film : culture savante contre culture superficielle, femme maléfique contre homme cultivé, Bach contre Rammstein.


Joe monopolise la parole pour narrer l’histoire de sa vie mouvementée ; Seligman faisant office de psychanalyste et d’auditoire. Très ouvert, celui-ci reçoit la confession déguisée de Charlotte Gainsbourg avec grand intérêt. Son histoire exerce une fascination certaine sur cet homme rangé à l’existence paisible. D’ailleurs, le spectateur lui-même suit la progression dramatique de cette héroïne particulière qui est rongé par le désir et l’appétit sexuel. Derrière l’apparente sincérité de Joe se cache une complexité psychologique, perçue par Seligman qui écoute avec attention mais circonspection le discours de la jeune femme. Celle-ci oscille en permanence entre la désinvolture, l’amusement, la souffrance et le dénigrement de sa propre personne.


Ce film, derrière la succession des performances sexuelles de l’héroïne, est d’abord l’histoire de la rencontre entre deux êtres que tout semble opposer mais qui pourtant se jugent sincèrement. Joe cherche en Seligman une personne capable d’éprouver du dégout pour son existence animale et terrible. Mais ce dernier ne cède pas à la facilité et continue tout le long du film à questionner son interlocutrice sur les raisons qui ont motivé chacun de ses actes. Plus rationnel en apparence, il dresse tout une série de parallèle entre les expériences de Joe et la nature ou les mathématiques. C’est ainsi qu’il compare d’abord les tentatives de Joe avec un comportement de prédateur directement issu de la pêche puis il identifie sa pratique sexuelle aux mathématiques pour terminer sur une note musicale qui étrangement donne de la cohérence à ses expériences.


Il n’est pas dupe de l’histoire de Joe qui cache un profond malaise et qui semble inventer une partie de son récit pour interpeller Seligman. Mais par son caractère extrême, elle perd progressivement une partie de son crédit. Elle refuse les réponses rationnelles de Seligman qui lui explique que son comportement est tout à fait compréhensible et profondément humain. Elle, au contraire, s’enfonce dans le malheur qu’elle croit être le sien.


Le sérieux et le côté tragique du film est sans cesse éclipsé par l’humour et la métaphore. Tous les chapitres du film sont en effet amorcés par les paroles du personnage masculin qui vient ramener l’histoire dans le présent. Joe commence par répondre à Seligman sur des sujets qu’il amène volontairement puis refuse de poursuivre dans cette voie pour retourner rapidement à la construction de son histoire.
FrançoisLP
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le 21 juin 2014

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FrançoisLP

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