ça fait plusieurs années que je tente ici et là, et tant bien que mal, de réhabiliter le cinéma d'André Cayatte, longtemps et toujours déconsidéré, jamais compris à sa juste valeur, notamment parce que la Nouvelle Vague l'avait à tort catalogué comme un cinéaste de l'arrière-garde à combattre, et aussi parce que son passé d'avocat a poussé beaucoup de spectateurs trop peu attentifs à penser qu'il n'était qu'un réalisateur à thèse, sans finesse. Tout cela est faux, je pense qu'il s'agit d'un cinéaste immense, dont l'oeuvre est sans cesse à redécouvrir, et ce méconnu Oeil pour Oeil, que je découvre ce soir, est l'un de ses plus beaux films. Tourné en 1956, uniquement en décors naturels au Liban et dans le désert de Syrie, il commence exactement comme un grand Hitchcock, et dans le fond et dans la mise en scène. Curd Jürgens joue un médecin installé à Beyrouth qui laisse mourir une jeune femme d'une grossesse intra-utérine, ne prenant pas au sérieux l'appel au secours de son mari après une journée de garde. Hitchcock est dans chaque plan, celui de L'Homme qui en savait trop, avec des accents modernes qui vont même jusqu'à évoquer Fassbinder. En effet, le mari de la jeune femme suit partout le médecin et sa présence fantomatique devient littéralement inquiétante, un peu comme celle de El Hedi Ben Salem dans nombre de Fassbinder. Finalement, perdu dans un village de la frontière, déjà en plein désert, sur des scènes qui anticipent sans mal celle de Profession Reporter d'Antonioni, le médecin accepte de suivre son bourreau, par crédulité et culpabilité, pour soi-disant rejoindre Damas à pied, à travers les montagnes, d'où ils auront un moyen de locomotion pour rejoindre les villes du Liban. On est à peu près à la moitié du film, il reste près d'une heure, et déjà que le début était peu bavard, privilégiant la mise en scène aux bavardages, le film se fait encore plus silencieux pour montrer l'errance et l'agonie de ces deux personnages au beau milieu d'un désert de montagnes. C'est l'errance de Blondin et Tuco du Bon, la Brute et le Truand qui est jouée avec 10 ans d'avance, vraiment. Et puis, à un moment donné, quand ils sont si prêts de crever, quand l'un ne domine plus l'autre, c'est carrément le Gerry de Gus Van Sant qu'évoque Oeil pour Oeil. Même radicalité, même errance, même fin quasiment... Bref, si certains avaient encore des doutes sur ce metteur en scène de génie, ruez-vous sur ce film que je rêve désormais de revoir un jour dans une belle édition blu-ray restaurée. Comme Gaumont l'a fait pour certains de ces films, et que celui-ci est dans leur catalogue, on a le droit de rêver.

FrankyFockers
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le 22 mai 2018

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