Okja
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Okja

film de Bong Joon-Ho (2017)

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Festival de Cannes, 2017. Grosse polémique. Le film Okja, réalisé par Bong Joon-ho et produit par Netflix, est sélectionné en compétition officielle. Le CNC et Canal+ souhaitent que Netflix ne le propose pas sur son catalogue pendant trois ans, afin de respecter la chronologie des médias qui donnent la priorité à la chaîne de Bolloré.
Vous vous en doutez, Netflix s'offusque (à raison) : ils ont été les seuls à avoir les bollocks de financer Okja, alors le sortir en salle oui, mais ne pas le proposer sur leur propre catalogue, impensable.


Almodovar, président du jury, s'en mêle et déclare qu'un film qui ne sort pas en salle ne mérite pas la palme d'or.


Ok, donc on passera sur Almodovar, blanc chevalier serviteur des lobbys financiers, qui préfère flatter les puissances économiques plutôt que la création artistique pure, et on va s'intéresser à ce fameux Okja, qui a généré tant de problèmes dans l'hexagone.


Okja est un film de Bong Joon-ho, le premier depuis son immense succès Snowpiercer, qui raconte l'histoire de Mija, jeune fille vivant avec son grand-père dans les montagnes coréennes. Alors qu'elle n'avait que quatre ans, son grand père, éleveur, a reçu de la multinationale agroalimentaire Mirando un cochon OGM, Okja, qui a grandi jusqu'à avoir la taille d'un éléphant. Le but de Mirando, derrière ses super cochons, est de produire assez de nourriture pour éradiquer la faim dans le monde. En 2017, le grand père de Mija est déclaré meilleur éleveur parmi les 26 ayant reçu un cochon. Okja va donc voyager jusqu'à New York pour être présentée comme le plus beau super cochon de ce concours étalé sur dix ans. Mija décide d'aller sauver son animal de compagnie de la surmédiatisation et de l'abattoir.


Avec un scénario pareil, il aurait été très facile de tomber dans un pamphlet anti-viandards bas de plafond où les grands méchants s'appellent Herta ou Charal, et où les défenseurs des animaux sont les meilleurs des hommes. Mais Bong propose une vision non manichéenne des différentes parties, qui apporte énormément de justesse à son film. Nous avons d'un côté Mirando (qui reste une représentation d'une multinationale réelle dont le nom commence par M et fini par ONSANTO), qui certes abat des cochons à tour de bras pour faire de la viande, mais a pour but derrière de mettre fin à la famine sur la surface du globe. Les idées sont bonnes, mais la manière de les concrétiser est discutable.


D'un autre côté, nous avons les membres de l'ALF (Animals Liberation Front) qui souhaitent le bonheur des animaux et vont donc aider à libérer Okja, mais se montrent tour à tour menteurs (on sait tous pourtant que les associations comme L214 sont des modèles de bonne foi, hein, hein ?), trop extrêmes (les discours de leur leader frôlent le sectarisme et certains refusent de manger, quitte à s'évanouir, pour respecter la nature) voire violents quand leurs idéaux sont bafoués.


Les deux camps ont donc leurs qualités et leurs défauts (à l'exception de Nancy Mirando qui apparaît peu avant la fin du film, qui est la pire crevure vénale dont le seul but est de se faire de la maille quelles qu'en soient les conséquences).


Les paradoxes sous-jacents des personnages sont rendus crédibles par des acteurs convaincants, à commencer par Tilda Swinton, qui a, comme toujours, un charme fou et énormément de talent. Elle joue parfaitement la PDG qui se montre douce mais prête à tout instant à basculer dans l'hystérie. On retrouve également Steven Yeun, Paul Dano, qui campent également de manière efficace la gentillesse cachant une détermination froide et crue, et dans une moindre mesure, Byeon Hee-bong, grand récurrent des films de Bong Joon-ho. Au casting également, Jake Gillenhaal, mais son personnage est trop extrême (dans la folie, la froideur et la méchanceté). Il est très caricatural dès le début du film, et n'a pas l'impact que l'arrivée de Nancy Mirando, autre personnage très monochrome, peut avoir sur le développement du scénario : là où l'arrivée de la nouvelle PDG plonge le film dans son dernier quart d'heure en annihilant la possibilité de toute empathie de la firme envers Okja et Mija, le personnage de Gillenhaal est, dès la première demie heure, un salopard arrogant alcoolique prêt à tout, ce qui contraste trop avec la justesse d'écriture des autres personnages. Il est également surjoué, de manière très théâtrale et.


Le personnage de Mija est finalement plutôt anecdotique. Anecdotique, mais bien écrit. Voulant uniquement sauver son animal, elle est ballottée entre Mirando et l'ALF, tous ayant leurs propres intérêts qui vont recouper plus ou moins le sien. Mija incarne l'innocence et la pureté dans un monde trop dur, peut-être trop adulte.


La justesse du film s'exprime aussi dans son développement scénaristique. Il reste très frustrant, parce que le monde est frustrant. Pas de grande vengeance extrême dans une effroyable effusion de sang, pas de victoire éclatante de tel ou tel camp... Ce monde dépeint est le notre - tout s'achète, tout a un prix. La finance dirige tout. Que nous rêvions fortement d'une justice ne la rendra pas plus concrète.


Mais le film dénonce néanmoins l'éthique derrière la surconsommation de viande, la société de consommation, l'ultra advertising, l'hypocrisie des médias etc. Les décors de l'abattoir, par exemple, font énormément penser à des camps de concentration.


J'imagine que les plus attachés au régime carné seront rebutés par ces comparaisons, dans lesquelles ils verront une certaine forme de propagande.


Mais il faut reconnaître que c'est une réalité. L'industrie de la viande ne perdure pas, actuellement, sans une grande souffrance animale. Et encore, je ne pense pas que les abattoirs français où les animaux sont tués sans agonie d'une balle dans la tête, comme dans le film, soient très nombreux.


La réalisation est sobre, évite d'être trop tape à l'oeil, et le métrage alterne entre des moments de rire et d'absurde (notamment la première moitié) et d'autres moments très glaçants et crus. Comme il avait l'avait fait dans Snowpiercer, Bong change sa réalisation en fonction des scènes. De la simplicité des scènes de nature avec grand angle, on passe à un montage plus frénétique pour la scène de course poursuite, puis d'autres scènes avec plans rapprochés sur les morceaux de viande pour susciter le malaise. L'utilisation de couleurs, la largeur des cadres et le montage change en fonction du "style" de scènes.


Le film reste d'une incroyable justesse et lucidité tout du long. Sans être un engagement en faveur du végétarisme, il nous fait tout de même réfléchir sur notre surconsommation de viande. Porté par des acteurs de talent et une réalisation soignée, Okja se révèle fort et, pourquoi pas oser le dire, nécessaire.


Alors, vous savez quoi ?


J'emmerde Canal+ et j'emmerde particulièrement Almodovar, grand représentant qu'il est d'une vision vieillie de la création artistique et du cinéma.


Okja EST un vrai film, et bien meilleur que n'importe lequel de ses drames tire-l'oeil.


Nous sommes à l'aube d'une nouvelle manière de consommer et financer du cinéma. Et Okja en sera un précurseur.

QuentinYuanMalt
7
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le 1 août 2017

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Yuan Cloudheart

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