Chausses-trappes, désamorçages et contrepieds. Un jeu de dupes en trois actes

A mon sens, OUATIH est structuré par trois grands pièges dressés là par un Tarantino facétieux, préparant déjà le terrain de sa retraite annoncée en jouant ouvertement avec les attentes -colossales- placées dans son neuvième film, comme une façon de prendre du recul sur son œuvre, et d'annoncer la fin de partie.
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Ceci n'est pas un film sur Charles Manson.



Le premier d'entre eux réside dans le simple fait que le film ne raconte pas l'histoire de Charles Manson. Si l'on pouvait s'y attendre au regard de l'uchronie qu'est Inglourious Basterds, le film entretient tout de même le doute en introduisant très tôt la maison et les personnages de Roman Polanski et Sharon Tate, en investissant la piste de la "Manson Family", la communauté hippie entourant le gourou, et en jouant un simulacre de reconstitution historique des circonstances de l'assassinat final, très scrupuleusement imitées et chronométrées.


L'attente de la véracité historique ainsi créée a beau être finalement désamorcée dans une réécriture cathartique et grand guignolesque des événements, elle demeure tenace sur deux bonnes heures, avant de partir en flamme, et en fumée. C'est du moins la fausse piste dans laquelle moi et ma chère et tendre avons plongé. En ce sens, certaines scènes et détails a priori un peu vains, tels que la fête au manoir Playboy et le dévoilement du triangle amoureux Polanski - Tate - Sebring, ou leur soirée resto et le "sentiment" de grossesse de Sharon, se retrouvent ainsi justifiés en tant que leurres narratifs.



Ceci n'est pas un film sur Hollywood



Seconde fausse piste, le film n'est pas un film sur Hollywood, ou du moins pas le Hollywood des stars et de la gloire qu'on connait, et auquel on pouvait légitimement s'attendre. C'est un Hollywood emprunt de réel qui nous est conté, en coulisse, avec ses métiers et rôles habituellement invisibilisés par la machine marketing et médiatique : acteur de second plan qu'on peine à reconnaitre dans la rue, actrice en herbe, agent d'acteur, producteur, figurant, costumière et maquilleuse, cascadeur, coordinateur de cascades, femme de coordinateur de cascades... Même Bruce Lee, dont le rôle joué dans The Green Hornet n'est pas précisé, s'humilie dans un relatif anonymat.


Ce sont également les processus de production, et les ficelles de métiers, qui sont mis à nus et désacralisés, alors que Rick Dalton répète son texte sans entrain dans sa piscine, écoute, dépité, les instructions du réalisateur, enfile son costume qui n'a pas fini de coller, échange douloureusement avec ses collègues, peine à jouer son rôle en plein tournage et fulmine dans sa loge. Ce n'est finalement pas l'Hollywood des grands films qui est abondamment référencé, c'est celui, de The Green Hornet à The F.B.I. et Ranch L, où joue Rick, des feuilletons télés et du cinéma bis. En ce sens, le fantasme que constitue la mention à The Great Escape ne sert qu'à ramener Rick à son occasion manquée.

Ceci n'est pas un Tarantino



Ultime contrepied, OUATIH n'est pas un Tarantino classique, et certainement pas le Tarantino attendu. Pour citer Velvetman, "Alors qu’OUATIH s’annonçait comme une orgie cinématographique qui allait nous en mettre plein la vue et qui allait nous abreuver de toute la science du cinéaste, avec ses dialogues savoureux, sa direction d’acteurs, la fétichisation de son cadre et sa violence épicurienne habituelle, le film apparaît aux premiers abords, extrêmement modeste dans son dispositif". C'est en effet un film lent, atmosphérique, déstructuré, focalisé, comme en plein frères Coen, sur les errances psychologiques de Rick, qui est proposé, aux antipodes des films nerveux, méthodiques et violents dont il est coutumier.


A cela s'ajoute un nombre incalculable de scènes avec Cliff à fort potentiel d'action se terminant en pétards mouillés, par des résolutions surprenamment paisibles ou banales : le fait que George Spahn, le propriétaire du ranch, existe bel et bien ; que Cliff parte avant l'arrivée du cavalier ; l'absence d’action significative alors que Cliff rentre dans sa caravane, ou répare l'antenne sur le toit ; la tension sexuelle entre Cliff et la hippie, qui ne se concrétise jamais ; le combat entre Cliff et Bruce Lee, plus grotesque qu'on le voudrait, à la limite du vaudeville. Même la décharge de violence que constitue la fin perd vite de son enjeu et de sa consistance, totalement désamorcée par la furie du chien, la tension laissant alors place à une vaste blague morbide qui fait rire franchement autant qu'elle choque. Jouer avec ces codes, c'est finalement faire de OUATIH un film réflexif sur ce qu'est la patte "Tanrantinienne". En ce sens, ce n'est pas un hasard s'il contient également des mini références à toute sa filmographie, qui achèvent d'en faire le méta-Tarantino par excellence.


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Cette volonté de prendre le spectateur à contre pied, si elle a le mérite d'être rafraichissante et, par définition, inattendue, a néanmoins un parfum de fin de cycle. Faire joujou avec le public, parler aussi ouvertement de cinéma, et parodier ses propres recettes, n'est ce pas finalement avouer sa propre lassitude?

DoubleRaimbault
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le 21 août 2019

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