"Est-ce donc un démon qui vous dévore le cœur petit Alex ?!"

Orange Mécanique a été pour moi une véritable claque cinématographique, riche en thèmes abordés, ultra-violent, visionnaire, maîtrisé de bout en bout et interprété à la perfection. Etant toujours attirée par les films " hors normes", à caractère sulfureux je fus servir avec brio.

Tournons nous vers le fond de l’histoire. Orange Mécanique est une fable construite en trois mouvements. Le premier décrit les exactions commis par Alex, un adolescent qui vit avec ses parents ouvriers dans une banlieue résidentielle à l’abandon. A la tête d’une bande de délinquants nocturnes, Alex n’obéit qu’à une seule règle: la sienne. Dissimulé derrière un masque, il tabasse, viole et pille, semant la terreur sur son passage afin d’assouvir son besoin d’ultra violence. Trahi par sa bande qui souffre sérieusement de sa tyrannie permanente, Alex se fait enfin arrêter par la police pour meurtre. Dans le deuxième mouvement, nous suivons l’adolescent dans son séjour carcéral où, afin d’alléger sa peine, il accepte de subir un traitement expérimental visant à éliminer toutes les pulsions violentes et sexuelles de son psychisme. Désormais libre et inoffensif dans le troisième mouvement, Alex, qui se retrouve à la rue, devient la proie sans défense de ses anciennes victimes jusqu’à servir de moyen à une tentative de renversement politique orchestrée par un groupe de dissidents.

La société que nous décrit le réalisateur anglais, bien ancrée dans les années 60/70 tant par son esthétisme que par certains sujets abordés, est probablement un des ses points forts du film.
Mais au-delà de la simple description, Kubrick nous dépeint un monde au bord du chaos,avec sa société en déliquescence complètement dépassée face à sa jeunesse incontrôlable et adeptes de toutes formes de rébellions.
Les repères sociaux (forces de l'ordre, travail et éducation scolaire) et familiaux (famille inexistante ou soumise) sont complètement dépassés et n'exercent aucune forme d'autorité sur ces jeunes. Loin de ces fondamentaux issus des année 40/50, ils ont crées leur propre structure, différente,
violente, dont le noyau principal n'est ni la famille, ni le monde du travail mais le gang.

D'ailleurs le cœur du film est tout simplement ces gangs et en particuliers celui composé par Alex et ses Droggies, même si le film brasse de nombreux sujets tel que la psychothérapie comportementale ou la libération sexuelle jusqu'à sa déformation la plus perverse et immorale (viol pour le plus extrême).
Mais les nombreux thèmes sont observés, disloqués, analysés, commentés par son meneur Alex, véritable anti-héros, violent, immoral.
Et là le film réussi un véritable tour de force en nous amenant à presque s'identifier à Alex où tout du moins à prendre son parti même dans ses actes les plus vils et abjects. Car Alex est un véritable charmeur et représente une incroyable figure de la liberté, que tout adolescent à un jours oul'autre effleuré du bout des doigts.
Et Kubrick joue sur ce point jusqu'à nous pousser dans nos derniers retranchement moraux : rire ou être écœuré par le viol perpétré par Alex, par le meurtre (dont l'arme du crime est un phallus géant !) qui le mènera en prison.

Ce qui interpelle et peut choquer le spectateur, dans Orange Mécanique, c’est la vision d’une société qui se révèle au final encore plus amorale que le héros. Car, si ce dernier y est décrit initialement comme une sorte de barbare, il représente pour Kubrick l’être humain à l’état brut, c'est-à-dire encore non conditionné pour vivre en société. Ainsi, les braves citoyens brimés par Alex paraissent socialement bien plus castrés que libres, donnant une vision pathétique de l’homme moderne, à genoux devant un pouvoir qui n’est là que pour le contrôler à défaut d’assurer sa protection. On ne trouve aucun idéalisme dans Orange Mécanique. Les policiers sont d’anciens délinquants, les agents des services sociaux sont aigris, les membres de l’élite côtoient les criminels dans des bars huppés et les politiques sont représentés comme manipulateurs, du Ministre, soucieux de l’opinion publique qui le maintiendra à sa place, à son ennemi du parti adverse, l’Ecrivain, dont l’aide apportée à celui qui a violé sa femme ne relève que d’un machiavélique calcul. Alex n’est que le produit génant de cette société démissionnaire qui préfère transformer radicalement l’individu au lieu de se remettre en question.

Alors que la cause du personnage central semble irrécupérable au début du film, au moment où le spectateur réussi à se distancier de lui (ou pas d'ailleurs), le film change complètement de ton, d'ambiance et de cadre. Entre les enceintes de la prison Alex n'est plus maître de sa destinée, semble être la victime toute désignée de ces compagnons de cellule et son seul refuge sera sa liaison avec le prêtre, où il peut encore user de son carme afin d'obtenir une position "protégée".
Alex dans un premier temps est semblable à un animal, sur ses gardes et apprenant à s'acclimater à son nouvel environnement, découvrant les faiblesses du système et en profitant. Une fois de plus il réussi à tirer son épingle du jeu, mais ne peut se satisfaire de sa condition de prisonnier.
Mais un événement inattendu va lui offrir une formidable chance de retrouver la liberté et par la même occasion à Kubrick de réussir un retournement de situation phénoménal, changeant le statut de son personnage principal, amenant le spectateur, une fois de plus, à reconsidérer son opinion sur lui.

Grace à une thérapie expérimentale mise en place par le gouvernement, Alex peut retrouver la liberté en quelques jours. Mais ce qu'il ignore est le prix de cette liberté.
Véritable "torture thérapeutique" cette partie du film met définitivement Alex dans la position de victimes. Grace à des scènes chocs (tant sur l'écran que regarde Alex, que celles décrivant les expérimentations qu'il subbit) dont certaines restent gravées dans la mémoire collective (les fameux écarteurs de paupières !), Kubrick replonge son métrage dans la violence. Violence autorisée, légalisée, médicalisée mais pourtant toute aussi cruelle et immorale que celles administrées par Alex à ses victimes.Et au sortir de cette expérience douloureuse et inhumaine, Alex n'est plus qu'un semblant d'humain.

Stanley Kubrick accentue le côté décadent du monde qu’il décrit par une représentation exacerbée du sexe dans les décors: tableaux pornographiques, mobiliers en forme de femmes nues, sculptures de phallus géants… Par une cruelle ironie, c’est la culture dans tout ce qu’elle peut avoir de plus recommandable (la Neuvième Symphonie de Beethoven) qui sera pointée du doigt pour expliquer l’origine du comportement violent d’Alex. Le réalisateur soigne également les costumes de ces personnages. Affublés de couleurs criardes, jusque dans les teintures des chevelures féminines, et de nœuds papillons grotesques, ils illustrent la dimension ridicule qu’occupent les habitants dans ce monde futuriste. Face à eux, la bande d’Alex cultive les opposés, vêtus de combinaisons blanches, de bottes militaires et de chapeaux issus d’une autre époque, renforçant le décalage entre leurs looks raffinés et la brutalité de leurs agissements.
La musique du film est un autre élément important. Si Stanley Kubrick préférait généralement utiliser de la musique classique existante plutôt que de faire appel à des compositeurs hollywoodiens, ici il va recevoir une proposition assez novatrice pour l'époque d'une compositeur moderne, Walter Carlos. Il va remanier certaines musiques connues de façon plus modernes grâce à des synthétiseurs. Cette orientation particulière renforce le côté "futuriste" du métrage.

Oeuvre d'anticipation, je sors de ce film la tête pleine de reflexions sur notre monde actuel et d'idées pessimistes.

Pop, voire psychédélique, l’esthétisme d’Orange Mécanique est l’un des plus singuliers de l’histoire du cinéma ; ainsi l’œuvre subversive de Stanley Kubrick restant un miroir déformant qui reflète de manière cynique et terrifiante notre société actuelle.
AudreyAnzu
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le 12 mars 2013

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AudreyAnzu

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