Fight Club est un film décomplexé. Et même, après des dizaines de visionnages, c’est toujours un choc immense, aussi bien visuel que thématique. Fight Club n'est pas une apologie de violence gratuit, mais bien une constatation et une dénonciation des dérives de la société de consommation et de ses conséquences sur les individus.
C'est un film est qui dérange. Il met à plat toutes nos obsessions, nos phobies, nos habitudes, il montre comment notre espèce est manipulée et influençable. Le film nous renvoie à nous-même et à notre conscience.


Norton, héros du film nous le dit : « Si je voyais une nouveauté ingénieuse comme une table basse représentant le yin et le yang, il fallait que je la possède ». La manipulation que subit Norton est due à la stratégie d’entreprise qui consiste à créer des besoins, qu’ils soient des besoins d’estime, d’appartenance, de sécurité, d’auto expression, physiologiques.
Le film porte également un regard critique sur la publicité qui véhicule de nombreux messages, outre la présentation du produit vendu, elle donne une certaine image idéologique des critères de beauté, des hommes (généralement musclés) ou des femmes (généralement typées anorexique). La scène qui illustre le mieux ce rejet est celle de Brad Pitt et d’Edward Norton dans le bus. Norton aperçoit une pub pour les slips Gucci dans un bus, il demande à Pitt « C’est à ça que doit ressembler un homme ? » et celui-ci de répondre « S’améliorer soi-même, c’est de la masturbation, c’est se détruire soi-même ». C’est cette faculté d’être prisonnier en ayant l’impression d’être libre que Fincher tente de nous expliquer à travers son film.

Un terrorisme cinématographique sur la dualité mené par un réalisateur halluciné. Subversif ou jouissif ? Les deux. Le héros de Fight Club interprété par Edward Norton n'a pas de nom. Cadre transparent et insomniaque qui achète des meubles Ikéa comme d'autres prendraient un shoot de coke, il mène une vie tranquille à la monotonie déprimante, se déplaçant de carcasses de voitures calcinées en carcasses, pour le compte d'une marque automobile. Cet anonyme parmi les anonymes trouve finalement son salut en fréquentant les associations de soutien aux grands malades et devient accro aux réunions de tuberculeux ou d'hommes privés de leurs attributs après un cancer des testicules. A sa façon, le personnage central de Fight Club souffre aussi d'une maladie qui, elle, trouve ses racines dans notre société. Une existence réglée comme du papier à musique, une solitude désarmante à l'ère de la communication, une vie sans relief et sans saveur, prévisible au point de souhaiter qu'il arrive n'importe quoi mais quelque chose, même un accident. Un événement va finir par bouleverser la vie de notre dépressif bien plus que ne l'aurait fait un crash d'avion : sa rencontre avec Tyler Durden (Brad Pitt). Un type qui emmerde la société, qui pisse dans la soupe qu'il sert aux clients d'un resto huppé, qui fabrique du savon avec la graisse liposucée des clients qui lui achètent, qui insère des plans de film porno dans les films pour enfants : un mec bien sous tous rapports. Notre héros trouve en Tyler son double maléfique, son messie tant attendu. A eux deux, ils fonderont le Fight Club, une association clandestine dans laquelle les hommes se prouvent qu'ils existent en se battant et en souffrant… Est-il besoin de le préciser ? Fight Club est un brûlot anar. Une œuvre autodestructrice et férocement jubilatoire qui se plaît à épingler tous symboles de la société de consommation : les meubles Ikéa, la New Beetle,... des trajets en avion, tous individuels et sans saveur. Rien n'est plus facile de taper sur les piliers de notre société : il serait pourtant dommage de s'en priver. Surtout quand c'est aussi bien fait que dans Fight Club. En dehors du message ambigu d'autodestruction que véhicule le film, Fight Club est un électrochoc dans une société qui a plus d'intérêt pour ce que possède les Hommes que pour ce qu'ils sont. Fight Club dérange et bouscule, use de tous les moyens pourvu que ses personnages sortent de leur léthargie. Tyler et ses acolytes n'ont aucune inhibition, ni dieu, ni maître. Le message est délicieusement simple et subversif. La démonstration, convaincante. Que l'on se rassure : Fight Club ne va pas jusqu'à faire du spectateur un terroriste potentiel. Il l'amène simplement (et c'est déjà beaucoup) à une réflexion non dénuée d'intérêt et pour cela recourt à tous les moyens mis à sa disposition.

Une musique accrocheuse, aux sonorités modernes et grinçantes. Des idées de narration et des images sublimes. Fincher, le réalisateur, nous livre un récit déconstruit, presque chaotique, qui ne perd pourtant jamais de son intérêt. Si la surenchère visuelle est évidente, les innovations narratives le sont tout autant. Ed Norton s'arrête et s'adresse directement aux spectateurs, Brad Pitt montre du doigt la "brûlure de cigarette " annonçant le changement de bobine… Fight Club est bourré d'idées géniales qui donne un véritable plaisir aux spectateurs. Fight Club confirme le talent de David Fincher et démontre celui de ses interprètes, Ed Norton en tête. Sa composition de yuppie qui subit son existence plus qu'il ne la vit est étonnante. On le suit, on l'écoute et surtout on comprend ses motivations. On n'a pas affaire à un fou mais bel et bien à un être tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Et c'est bien là une des réussites de Fight Club : rendre crédible le "pétage de plomb " de son héros. Brad Pitt, déjanté à souhait, est un diable séduisant et destructeur à l'opposé du personnage interprété par Norton. Comme les deux faces d'une même pièce…


Marla Singer (Helena Bonham Carter) est l’une des rares représentantes féminines du film. On peut s’interroger en effet sur l’intégrité de la femme qui ne cesse d’être critiquée : « On est une génération d’hommes élevée par des femmes, je suis pas sûr qu’une autre femme soit la solution à notre problème ». Il n’y a aucune femme dans le Fight Club et si on s’en tient à une lecture primaire du film, le rôle d’Helena Bonham Carter ne sert que de défouloir sexuel à des hommes bourrés de testostérone.

Heureusement son rôle ne tient pas qu’à ça, il est au contraire très important pour la santé mentale du héros en restant pour lui, un pas à terre à la réalité qu'il essaye d'échapper.



Tout comme l’idée de faire tomber les fondations d’une société déshumanisée au profit de l’égoïsme matériel nous est montrée comme séduisante, le film ne nous la montre pas comme un idéal, puisqu’elle est elle-même pervertie par ses fondements extrémistes…
On retrouve tout le long ce paradoxe, le film en est un à lui tout seul, nous démontrant tout et son contraire… c’est ce qui le rend si intelligent car il ne nous donne aucune solution, même le chaos comme terreau pour un nouveau départ n’en est pas un...

Fight Club est un film passionnant, aussi ludique qu’ouvert à de profondes réflexions, lucide et provocateur. Une merveille intemporelle.
AudreyAnzu
8
Écrit par

Créée

le 18 juin 2013

Critique lue 5.5K fois

36 j'aime

8 commentaires

AudreyAnzu

Écrit par

Critique lue 5.5K fois

36
8

D'autres avis sur Fight Club

Fight Club
Gand-Alf
10

Sons of Anarchy.

Qu'une oeuvre aussi folle, aussi inconfortable, aussi ambigüe, aussi inclassable que Fight Club sorte d'un gros studio aussi conservateur que la Fox reste une des blagues les plus brillantes de cette...

le 19 juil. 2015

192 j'aime

24

Fight Club
Velvetman
8

La consommation identitaire

Tout a été déjà dit sur le film de David Fincher. Film culte pour les uns, film générationnel pour d'autres. Critique mercantile de la société de consommation pour certains, film d'homosexuels...

le 28 janv. 2015

154 j'aime

4

Fight Club
Ano
5

Je suis l'ego démesuré de Jack

Beaucoup pensent que ce film n'est qu'un éloge d'une sorte de société altermondialiste nihiliste prônée par le personnage de Brad Pitt; si bien qu'on reproche souvent à Fight Club d'être une repompe...

Par

le 5 févr. 2012

149 j'aime

13

Du même critique

Taram et le Chaudron magique
AudreyAnzu
10

"Il était une fois au coeur du Royaume de Prydain...."

Film Disney mal-aimé et singulier au sein de la filmographie du studio aux grandes oreilles, Taram et le Chaudron Magique, sorti en 1985, vaut pourtant bien mieux que sa désastreuse réputation le...

le 24 mars 2013

43 j'aime

8

Le Voyage de Chihiro
AudreyAnzu
10

Chihiro au pays des merveilles

Ce film est un hymne à l'imagination. N'avez vous jamais voulu ressentir le plaisir de plonger dans le rêve d'un enfant ? ou de redevenir un enfant, confronté à un monde dont les règles vous...

le 6 mars 2013

42 j'aime

13

Fight Club
AudreyAnzu
8

Désillusion

Fight Club est un film décomplexé. Et même, après des dizaines de visionnages, c’est toujours un choc immense, aussi bien visuel que thématique. Fight Club n'est pas une apologie de violence gratuit,...

le 18 juin 2013

36 j'aime

8